Pour comprendre l’œuvre de Luigi Ghirri, il faut relire le livre Luigi Ghirri, l’amico infinito de son ami éditeur et photographe Claude Nori. Il y revient sur le parcours du photographe italien et sa relation amicale et professionnelle avec lui. « Lorsqu’à Paris, je n’allais pas bien, que j’avais le mal du pays, je prenais le train et j’arrivais le matin à la gare de Modène. Luigi venait me chercher. Sur le chemin nous n’arrêtions pas de parler. L’avenir nous appartenait, un champ de possibilités énormes nous devançait, tout était à construire dans cette photographie nouvelle que nous aimions et cela nous rendait heureux. » Les deux hommes appartiennent à cette génération de photographes qui, dans les années 70 et 80, ont remis en question cet art et son usage pour une approche plus sensible, ironique et intimiste.
Luigi Ghirri, qui est mort en 1992, a été un photographe sédentaire. Son terrain de jeu, c’était l’Italie, son Italie, et en particulier Modène et ses environs. « L’œuvre de Luigi Ghirri » écrit Claude Nori, « s’est construite sur un territoire dont les points les plus lointains se situaient à moins de trente kilomètres : une étendue de terres, d’eau, des collines, des rangées d’arbres, des horizons infinis qui lui semblèrent toujours un vaste monde à découvrir et furent surtout un espace intime, calfeutré dans son cœur dont l’enfance occupait tout l’espace. » Dans le nouvel ouvrage Puglia. Tra albe e tramonti, Luigi Ghirri a étiré son champ de vision un peu plus loin que les fameux trente kilomètres, il s’est rendu dans le sud de l’Italie, dans les Pouilles.
C’est la photographe et galeriste Gianni Leone qui a mené Luigi Ghirri vers ce territoire avec d’abord le désir d’exposer ses images à la Spazio Immagine gallery qu’elle gérait à Bari. Après quelques mois d’hésitation, Luigi Ghirri accepte l’invitation. L’exposition « Still Life » autour de sa série sur des objets trouvés dans le marché aux puces de Modène a un réel succès, c’est même un évènement : « Il y avait tellement de monde le soir du vernissage : des journalistes, des critiques, des photographes – l’intelligentsia de Bari, en gros. » Voyant la satisfaction de Luigi Ghirri devant la réussite de l’exposition, Gianni Leone lui suggère le lendemain autour d’un café de photographier les environs : « Ce serait bien si vous preniez des photos à Bari, peut-être dans les Pouilles. Pourquoi ne pas laisser votre propre témoignage visuel de notre région, afin de la libérer d’une fausse représentation qui la cache et l’insulte ? » Luigi Ghirri ne réagit pas sur le coup mais finalement se lance dans une relation qui durera de nombreuses années entre cette région et le photographe.
Les rues blanchies à la chaux, les nuits étincelantes, les portes, les fenêtres et les arches des Pouilles conquièrent le photographe, ses arbres, ses dalles et ses coins de rue, les enfants qui jouent, les vieillards qui discutent et la mer, toujours la mer et son bleu indomptable que le photographe encore capture. Pour Luigi Ghirri, c’est une terre exquise qui sied parfaitement à sa photographie minimaliste. Il reviendra photographier presque chaque année cette région, parfois avec sa femme, parfois avec des amis, approfondissant à chaque fois un peu plus sa compréhension de ce territoire.
Dans Puglia. Tra albe e tramonti, on déambule avec lui dans les Pouilles. Bien loin de la photographie touristique, le livre se regarde comme un film et nous rappelle, dans sa douce ironie, la première partie « En Vespa » du film Caro diario de Nanni Moretti – où le réalisateur italien se promène dans une Rome quasi déserte. C’est sous le regard délicat et attentionné de la fille de Luigi, Adele Ghirri, que ce nouveau montage aux nombreuses images inédites pour les éditions Mack Books a été réalisé. Adele Ghirri a tenté de respecter au mieux la philosophie de son père, sa vision du monde et de la photographie. On tourne les pages et on reste happé par les scènes, les plans qui se succèdent, l’histoire que Luigi Ghirri raconte. Luigi Ghirri est là sans être là, sa présence se ressent dans chaque image et cette impression se confirme quand on lit la retranscription d’un colloque à la Sorbonne qu’il avait donné en 1984 dans Luigi Ghirri, l’amico infinito : « Borges raconte qu’un peintre, qui voulait dépeindre le monde, commença par faire des tableaux avec des lacs, des montagnes, des barques, des animaux et des objets. À la fin de sa vie, en mettant ensemble tous ses tableaux et dessins, il se rendit compte que cela représentait une immense mosaïque de son visage. L’idée de départ de mon projet-œuvre photographique pourrait ressembler à ce récit. (…) Un fil subtil liant l’autobiographie et le monde extérieur. »
Puglia. Tra albe e tramonti de Luigi Ghirri, édité par Mack Books, 288 pages, 55€.
Pour en découvrir plus sur Luigi Ghirri :
Luigi Ghirri, l’amico infinito de Claude Nori, aux éditions Contrejour, 180 pages, 28€.
Les archives Luigi Ghirri dont sa fille Adele Ghirri est la curatrice.