« O.p.g Criminal Asylum » est – pour le photographe et éditeur Mauro D’Agati -, l’occasion d’une immersion dans les prisons psychiatriques de Naples, Barcellona Pozzo di Gotto, Castiglione delle Stiviere et Aversa, en Italie et 2001. Quelques années plus tard, ces hôpitaux psychiatriques judiciaires ont fermé, un événement qui a marqué l’histoire de la réforme des soins de santé et du système de détention des personnes atteintes de maladies mentales en Italie. Une lutte de 40 ans qui a débuté avec la loi sur la santé mentale de 1978, dite loi Basaglia, visant à réformer le système.
Comment êtes-vous parvenu à réaliser cette série dans des hôpitaux psychiatriques ?
À l’époque, je travaillais à un projet sur les prisons italiennes en général, et j’ai demandé à visiter ces centres de détention d’un genre particulier. Pendant un an, je me suis rendu dans une vingtaine de prisons dans toute l’Italie, dont quatre prisons psychiatriques. Ma motivation première était d’explorer quelque chose de caché, d’invisible pour la plupart des gens. De plus, ma situation sentimentale étant ce qu’elle était à l’époque, c’était un moyen métaphorique de me soigner, une sorte de distraction. Comme vous pouvez l’imaginer ce fut loin d’être facile d’accéder à ces lieux, des institutions en général extrêmement secrètes. C’est grâce à Giancarlo Caselli, alors à la tête de l’administration pénitentiaire italienne et ex-juge anti-mafia de premier plan, que j’ai obtenu les autorisations nécessaires. Je l’ai rencontré à Palerme plusieurs fois et il m’a soutenu, indéfectiblement.
Pourquoi ces personnes étaient-elles détenues ? Pouvez-vous nous raconter quelques trajectoires ?
Ces prisonniers avaient commis divers crimes et étaient jugés comme des malades mentaux, généralement atteints de dépression, schizophrénie ou autres. Souvent, au cours de leur détention, ils se révélaient dangereux pour leur environnement et ils étaient envoyés dans l’un des six quartiers spéciaux OPG – « ospedale psichiatrico giudiziario » (hôpital psychiatrique judiciaire). J’ai pu les photographier, mais je ne leur ai pas posé beaucoup de questions sur les crimes qu’ils avaient commis ou les maladies dont ils souffraient. C’était déjà un miracle d’avoir eu le privilège de les immortaliser, surtout si l’on considère qu’au début, j’ai reçu une lettre de l’administration m’interdisant de dévoiler leur visage ou toute autre partie reconnaissable de leur corps. Quand je suis arrivé là-bas, personne ne m’a mis de bâton dans les roues, et j’ai donc pu shooter librement.
Vous avez pris d’eux des photos très intimes… Au début, comment les patients vous ont-ils perçu et comment ont-ils réagi face à votre objectif ?
Certains m’ont demandé de les aider à sortir de prison ou d’informer la société sur leurs conditions de vie inhumaines. La plupart étaient parfaitement indifférents ou sous l’emprise de médicaments, de sorte qu’ils ne comprenaient rien à ce qu’il se passait. Ils se contentaient de tolérer ma présence et celle de mon appareil, et ne se sont jamais dérobés.
Vous avez une anecdote, en particulier ?
Même s’il ne m’est jamais rien arrivé, nombre d’histoires me viennent à l’esprit. Par exemple, celle d’un type de l’OPG de Naples, qui voulait vivre dans une cellule, toujours debout sans chaise ni table ni lit ou le moindre meuble. Lui donner de la cocaïne était le seul moyen de lui faire prendre une douche ou manger. En repensant aux motivations qui m’ont poussé à pénétrer ce monde et à voir ce que les gens y vivaient, j’ai relativisé mon chagrin d’amour.
Ont-ils lu votre livre ? Et si oui, comment ont-ils réagi ?
Personne n’a vu les images. Il a été publié 20 ans après que les photos ont été prises.
En quelques mots, quel est l’apport de la loi Basaglia ?
Il s’agit d’une loi très progressiste de 1978, à l’origine d’une importante réforme du système psychiatrique italien qui préconisait de remplacer graduellement ces hôpitaux par de meilleures solutions alternatives. Cela étant, ces institutions n’ont fermé leurs portes qu’au milieu des années 2000. Et pour quantité de leurs thuriféraires, en réalité, seul le nom a changé. Depuis ce reportage, même si ce n’est pas l’envie qui m’en manque, je n’ai jamais pu y remettre les pieds.
O.P.G. CRIMINAL ASYLUM, Mauro D’Agati, published by 89 Books, 124 pages, €85.