L’humanité trouve rassurant de considérer que le « beau » est un fait objectif, un modèle d’excellence qui transcende les subjectivités et les conditionnements culturels. Et si ce que nous tenons en estime n’était qu’une extension de la pensée populaire contemporaine ? C’est la question qui se trouve au cœur de Good Pictures A History of Popular Photography (Stanford University Press), le nouveau livre de l’historienne Kim Beil. L’ouvrage retrace l’histoire de la photographie en s’appuyant sur 50 tendances populaires aux États-Unis, de 1989 à 2019.
Organisé en six sections chronologiques, Good Pictures explore le rôle des manuels de référence et leur façon d’instruire les photographes en devenir, pour leur apprendre « à prendre de bonnes photos ». Kim Beil analyse les différentes techniques qui se sont imposées à certaines périodes, comme le flou artistique, l’effet glamour, le flou cinétique, le reflet ou bien l’ultra grand angle et l’objectif fisheye. Elle cherche également à comprendre comment le secteur contribue à standardiser la notion de « bonne photo » pour en faire une simple marchandise, et cherche à renforcer les idéologies sociales, politiques et culturelles dominantes au lieu de les remettre en question.
D’un bout à l’autre de son livre, Beil fait ressortir une particularité américaine: la transformation du style en marchandise, accompagnée de la production d’une pensée collective. Elle décrit la boucle éternelle des styles photographiques, qui émergent puis disparaissent, pour finalement revenir plus tard.
La flatterie la plus sincère
« On peut reconnaître une bonne photo à ce qu’elle suscite la considération et inspire l’imitation », suggère Beil dès le début du livre. Cette position rappelle la citation si polémique d’Oscar Wilde : « L’imitation est la forme de flatterie la plus sincère que la médiocrité puisse faire à la grandeur. »
Au lieu d’amener les gens à penser par eux-mêmes, les manuels fournissaient des leçons de conformité esthétique et psychologique. Kim Beil éclaire alors le mécanisme par lequel les artistes, qui avaient pourtant réussi à faire progresser la discipline, voyaient leurs œuvres récupérées et transformées en produits, réduites à un élément technique que n’importe qui pouvait utiliser pour produire un effet. Ainsi dénaturé, le novateur devenait cliché visuel.
L’un des chapitres est consacré à la « ruin porn », ou photographie de ruines, sujet de prédilection des Romantiques du XIXème siècle, pour qui cette déchéance abjecte de l’humanité tenait du sublime. Grâce aux réseaux sociaux, la « ruin porn » a fait son retour, fait révélateur lorsque l’on constate que ces mêmes quartiers, « préservés » dans les photos en question, se voient anéantir au fil de la gentrification des villes.
« Les critiques affirmaient que la ruin porn relevait d’un voyeurisme exaltant qui n’aidait en rien à régler les causes institutionnelles du déclin d’une cité, ni à améliorer les conditions de vie », écrit Beil. « À l’instar d’autres débats modernes sur la valeur de la photographie, nombre de ces discussions s’orientaient sur l’esthétisation du sujet, en particulier l’utilisation de filtres, ainsi que le penchant du genre pour les images dénuées de tout sujet humain. »
Beil fait ici égalemen allusion à d’autres méhodes évoquées, telles « le point focal du premier plan », les « ciels nuageux », « les crayons et vignettes », ou « l’effet Rembrandt », détaillant le processus par lequel les tropes se muent en convention puis en cliché, se recyclant à l’infini pour plaire à qui cherche le confort au sein du connu. Pour répondre au proverbe, le bon est ici l’ennemi du grand.
Par Miss Rosen
Miss Rosen est journaliste spécialisée en art, photographie et culture, et vit à New York. Ses écrits ont été publiés dans des livres, des magazines et des sites web, dont Time, Vogue, Artsy, Aperture, Dazed et Vice, entre autres.
Good Pictures A History of Popular Photography by Kim Beil
Stanford University Press
$45