« Dans mes photos, certains voient des expressions de joie et de grande fête, d’autres, quelque chose de douloureux, voire d’un peu triste. La réalité se situe sans doute entre les deux, il n’y a pas de mise en scène, il s’agit de ma vie. »
Ces mots d’Hannibal Volkoff, photographe et galeriste de 36 ans, traduisent les sentiments contradictoires que ses images peuvent susciter chez le spectateur. Pourtant, ce serait résumer trop hâtivement le travail singulier de ce personnage à la fois discret et sans fard.
Nous le rejoignons dans une petite rue du Marais, dans le troisième arrondissement de Paris. Non loin de là, au 20 rue des Gravilliers, se trouve la galerie Hors-Champ, lieu qu’il a ouvert en 2011 avec son complice Bernard Pegeon.
Hannibal Volkoff nous reçoit dans son modeste appartement au décor épuré. Dans la bibliothèque, des titres choisis avec gout ne sont pas sans trahir la sensibilité de notre hôte. Autour de cigarettes fumantes et de verres de Côtes-du-Rhône, nous discutons à bâtons rompus d’art bien sûr, du 8e surtout, et de l’histoire surprenante d’Hannibal.
Sensualité des corps et crudité des scènes
Issu d’une famille de l’aristocratie nantaise déchue, Hannibal Volkoff grandit dans un milieu aux valeurs catholiques bien ancrées. Dans un climat où le non-dit et les secrets taisent parfois une réalité bien sombre, le photographe doit trouver des espaces à lui pour vivre plus libre.
« Très tôt, j’ai été témoin de mauvais traitements dans mon cercle familial. Je peux le dire aujourd’hui, bien que je n’ai pas été victime, nous vivions dans une atmosphère violente et incestueuse. »
Hannibal se réfugie alors dans « un univers libidinal et fantasmagorique », enregistrant en cachette les passages tendancieux des films qu’il regarde, puis dans la pornographie. Le décor est posé. Ces instants d’intensité sexuelle, nous les retrouverons des années plus tard, dans la démarche du photographe de documenter son quotidien.
Car, il faut l’admettre, les images d’Hannibal Volkoff oscillent constamment entre la sensualité des corps et la crudité des scènes. Un monde qu’une frange de nos contemporains fantasme ou conspue dans des jugements maculés d’ignorance.
« Je ne produis pas des clichés pour les magazines comme Vogue ou Vanity Fair », explique-t-il. « Dans l’exhibitionnisme de mes sujets, il n’y a pas la volonté d’être beau ou de choquer, mais plutôt de montrer des expériences différentes du corps qui relèvent plus du manifeste. »
« Le désir, le partage et la violence »
C’est bien de cela qu’il s’agit lorsque nous regardons les images d’Hannibal Volkoff : une expérience alternative de la vie. Une insoumission sensible face aux injonctions de la société.
C’est sans doute ce qu’il cherche aussi dans les témoignages visuels des manifestations qu’il saisit. « On s’est déjà étonné que, dans mes ouvrages ou expositions, je mélange les moments d’intimité brute, de soirées festives et de rassemblements revendicatifs. Pour moi, tout cela relève du même mouvement. On y trouve le désir, le partage et la violence. »
Une forme d’ode libertine et libertaire qui est, elle aussi, constitutive de l’intériorité de l’auteur. Dans un tel débordement d’énergie incandescente, la vie et son corps ne sont pas épargnés par la mort. Hannibal Volkoff en a bien conscience : « Une fois, quelqu’un m’a dit : “Je n’ai jamais vu une exposition aussi triste”, il y voyait une projection de son vécu, des risques que les pratiques que je montre lui rappelaient, des années SIDA et des disparus qui en suivirent. »
C’est certainement la force des images d’Hannibal Volkoff, une volonté sincère et, quoique nous puissions penser, douce, de mettre en lumière celles et ceux qui irradient le jour et embrasent la nuit. Finalement, une façon heureuse de côtoyer la mélancolie.
Hannibal Volkoff est l’auteur de deux recueils de ses photographies, publiés aux éditions des Presses Littéraires : Nous naissons de partout (2016), 18 €, et Nous qui débordons de la nuit (2019), 20 €.