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Lorraine O’Grady, l’avant-garde de la photographie noire

A 86 ans, l’Américaine Lorraine O’Grady est enfin célébrée comme il se doit avec une première rétrospective dans un musée, « Both/And », et deux nouveaux livres.

Lorraine O’Grady
Lorraine O’Grady, Rivers, First Draft: The Woman in the White Kitchen tastes her coconut, 1982/2015. Avec l’aimable autorisation de Alexander Gray Associates, NY © Lorraine O’Grady/Artists Rights Society (ARS), New York

À 45 ans, Lorraine O’Grady est une artiste accomplie lorsqu’en 1980 elle fait sa première apparition publique en tant que « Mlle Bourgeoise Noire » au Just Above Midtown, le centre de l’avant-garde noire de New York dirigé par la galeriste révolutionnaire Linda Goode Bryant. Vêtue d’une robe faite main composée de 180 paires de gants blancs, d’un diadème étincelant et d’une ceinture de reine de beauté, O’Grady entre dans la galerie avec des fleurs et un martinet.

Les fleurs, c’était pour le public. Le fouet, pour une performance dénonçant la respectabilité qui consumait la classe moyenne noire américaine. Celle-ci s’efforçe à l’époque désespérément de s’épargner les horreurs du racisme systémique. Mais Lorraine O’Grady, fille d’immigrants jamaïcains, sait que ces idées sont au mieux des illusions. Tout en se fouettant, elle prononçe des vers, son poème se terminant ainsi : « L’art noir doit prendre plus de risques ! »

Lorraine O’Grady
Lorraine O’Grady, Mlle Bourgeoise Noir leaves the safety of home, 1980–83/2009. Avec l’aimable autorisation de Alexander Gray Associates, NY © Lorraine O’Grady/Artists Rights Society (ARS), New York
Lorraine O’Grady
Lorraine O’Grady, Crowd Watches Mlle Bourgeoise Noire Whipping Herself, 1980–83/2009. Avec l’aimable autorisation de Alexander Gray Associates, NY © Lorraine O’Grady/Artists Rights Society (ARS), New York
Lorraine O’Grady
Lorraine O’Grady, Mlle Bourgeoise Noire celebrates with her friends, 1980–83/2009. Avec l’aimable autorisation de Alexander Gray Associates, NY © Lorraine O’Grady/Artists Rights Society (ARS), New York

Elle n’a alors pas tort, pas plus qu’elle n’a peur – même si son travail restera ignoré – ou presque – pendant plus de 40 ans. Aujourd’hui, l’artiste est enfin reconnue à sa juste valeur avec une première rétrospective qui vient de se terminer au Brooklyn Museum, intitulée « Both/And », et la publication de deux ouvrages par la Duke University et Dancing Foxes Press.

Un nouveau paradigme

Comme un chat à neuf vies, Lorraine O’Grady a vécu pour se raconter. Son œuvre témoigne de la complexité d’être une intellectuelle, que les questions ont toujours plus préoccupé que les réponses. Parmi les trois femmes noires de la classe de 500 étudiants du Wellesley College en 1955, elle fut tout au long de son existence une initiée autant qu’une outsider. Un temps analyste pour les services de renseignements américains, elle a aussi été critique de rock pour Rolling Stone et professeur de littérature à la School of Visual Arts. Avant de se consacrer à l’art et de créer un espace pour les femmes noires, dans un monde où elles étaient mal représentées, marginalisées, voire oubliées.

Lorraine O’Grady
Lorraine O’Grady, The Strange Taxi: From Africa to Jamaica to Boston in 200 Years, 1991/2019. Avec l’aimable autorisation de Alexander Gray Associates, NY © Lorraine O’Grady/Artists Rights Society (ARS), New York

Le titre « Both/And » célèbre la tolérance et l’inclusion. Pour Lorraine O’Grady, la multiplicité est l’espace dans lequel la possibilité existe, tandis que la certitude n’est qu’une impasse. En abandonnant le paradigme du « soit/ou », elle crée un espace dans lequel nous pouvons explorer une binarité, nous obligeant à considérer l’équilibre comme une forme de grâce.

L’art est…

En tant que figure de proue d’un groupe d’artistes performeurs, elle a fait de l’appareil photo le témoin de son travail et a, comme bien d’autres, contribué à élever la photographie au rang d’art contemporain. « Both/And » présente ses happenings les plus remarquables et, ce faisant, révèle comment la photographie fait partie intégrante de son existence. Le mélange de faste et de politique qui caractérise Lorraine O’Grady aurait pu disparaître si elle n’avait pas compris le rôle de ce médium dans la diffusion et la préservation de son art.

Lorraine O’Grady
Lorraine O’Grady, Art Is . . . (Troupe with Mlle Bourgeoise Noire), 1983/2009. Avec l’aimable autorisation de Alexander Gray Associates, NY © Lorraine O’Grady/Artists Rights Society (ARS), New York
Lorraine O’Grady
Lorraine O’Grady, Art Is . . . (Girlfriends Times Two), 1983/2009. Avec l’aimable autorisation de Alexander Gray Associates, NY © Lorraine O’Grady/Artists Rights Society (ARS), New York

Dans les séries « Mlle Bourgeoise Noire » (1980) et « Art Is… » (1983), elle associe la performance à la photographie pour inclure artistes et public noirs dans un monde de l’art historiquement fermé. Pour Art Is…, elle met en scène un projet collaboratif pendant la parade annuelle de la journée afro-américaine de Harlem. Des femmes vêtues de blanc brandissent des cadres dorés devant les visages des spectateurs, transformant ces derniers en œuvres d’art.

« L’idée de la parade est née de la volonté de montrer l’avant-garde au plus grand nombre de Noirs en une seule fois – c’est tout. Ma première idée était de mettre des œuvres d’art sur le char et de laisser les gens REGARDER l’art », explique-t-elle dans un entretien avec Amanda Hunt publié en 2015 dans Writing in Space. « Une femme m’avait auparavant affirmé que l’art d’avant-garde n’avait rien à voir avec les Noirs. Cela a eu le don de m’énerver. Et c’est de là qu’est venue l’idée. Pour lui prouver qu’elle avait tort : une performance sur l’art face à un million de personnes. Finalement, ils n’ont pas observé de l’art. Cet art, ils l’ont créé. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen est une journaliste basée à New York. Elle écrit sur l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres, des magazines, notamment TimeVogueAperture, et Vice.

« Lorraine O’Grady : Both/And », jusqu’au 18 juillet 2021, Brooklyn Museum of Art, 200 Eastern Pkwy, Brooklyn, NY 11238, USA

Lorraine O’Grady : Both/And, publié par Dancing Foxes Press/Brooklyn Museum, $40.00

Writing in Space,1973-2019, publié par Duke University Press sous la direction d’Aruna D’Souza, $28.95

Lorraine O’Grady
Lorraine O’Grady, Rivers, First Draft: A Little Girl with Pink Sash memorizes her Latin lesson, 1982/2015. Avec l’aimable autorisation de Alexander Gray Associates, NY © Lorraine O’Grady/Artists Rights Society (ARS), New York
Lorraine O’Grady
Lorraine O’Grady, Miscegenated Family Album (Sisters I), L: Nefernefruaten Nefertiti; R: Devonia Evangeline O’Grady, 1980/1994. Avec l’aimable autorisation de Alexander Gray Associates, NY © Lorraine O’Grady/Artists Rights Society (ARS), New York
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Lorraine O’Grady, Miscegenated Family Album (Sisters IV), L: Devonia’s sister, Lorraine; R: Nefertiti’s sister, Mutnedjmet, 1980/1994. Avec l’aimable autorisation de Alexander Gray Associates, NY © Lorraine O’Grady/Artists Rights Society (ARS), New York
Lorraine O’Grady
Lorraine O’Grady, Art Is . . . (Girl Pointing), 1983/2009. Avec l’aimable autorisation de Alexander Gray Associates, NY © Lorraine O’Grady/Artists Rights Society (ARS), New York

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