Majestueux, enveloppé de mythes et de mystères, l’Ouest américain est le paysage emblématique du self-made man. Trappeurs, prospecteurs, explorateurs, hors-la-loi, hommes de loi, colons et colonisateurs ont longtemps été vus comme les héros conquérants du rêve américain.
L’image du Old West a été forgée dans les décennies de l’après guerre civile par la littérature, la musique et le cinéma émergent qui ont trouvé leur inspiration dans les exploits légendaires de Billy the Kid, Jesse James ou Buffalo Bill pour créer des récits romantiques d’aventure dans un décor dangereux peuplé de « sauvages ».
Le genre connu sous le nom de western est rapidement devenu l’illustration même de l’identité américaine au début du XXème siècle, tandis que l’industrialisation de la nation s’accélérait. Puis l’esprit du western a séduit les jeunes générations par l’intermédiaire de la musique, de la mode, de la télévision et des bandes dessinées, la culture pop propageant un archétype de consommation illustré par le Marlboro Man.
Mais la vérité sur l’Ouest est beaucoup plus complexe que le consumérisme ne le laisse croire. Au printemps 1979, le légendaire photographe Richard Avedon réalise une série de portraits de l’Ouest américain au Texas pour le Amon Carter Museum of American Art. Chaque été, de 1979 à 1984, Avedon retournera dans l’Ouest, assistant à des rodéos, fréquentant des relais routiers, visitant des prisons, des mines, des abattoirs, des hôpitaux psychiatriques et des parcs à bestiaux.
En 5 ans et demi, Avedon réalise 752 portraits de personnes rencontrées dans 189 villes de 17 États différents ainsi qu’au Canada, tenant des registres méticuleux de leurs noms, lieux, dates et souvent professions. À la manière classique d’Avedon, chaque sujet pose devant un fond blanc en lumière naturelle, afin d’exclure du cadre toute référence au contexte.
Ce qui demeure est le modèle, se révélant exclusivement par l’expression, le geste et la posture. « Un portrait n’est pas une ressemblance », a écrit Avedon. « Dès qu’une émotion ou un fait est transformé en une photographie, ce n’est plus un fait mais une opinion. »
« C’est un Ouest fictif »
En 1985, le musée Amon Carter organise une exposition itinérante intitulée Richard Avedon: In the American West. Elle comprend 124 portraits de la série, créant un espace de réflexion et de recherche à propos d’un archétype mythique, construit sur la relation tendue entre l’individu et le collectif dans la société américaine. « C’est un Ouest fictif », déclarait Richard Avedon à propos de sa série légendaire. « Je ne pense pas que l’Ouest de ces portraits soit plus concluant que l’Ouest de John Wayne. »
A l’instar des grands romanciers, cinéastes, interprètes et stars de cinéma occidentaux, Avedon a su utiliser l’art pour défendre, remettre en question ou analyser la notion séduisante d’«américanité ». L’interprétation d’Avedon s’enracine dans un mélange complexe d’opinion et d’idéalisme, qui se manifeste à travers le processus de création et la technique. Et de là sont nées des images trompeusement simples et directes.
A propos de la série d’Ansel Adams Moonrise, Hernandez, New Mexico (1944), le célèbre romancier Larry McMurtry écrit en 1985, dans Texas Monthly, que « l’on ne voit pas de gens, ils ne sont qu’implicites dans ces photographies de petites maisons adossées à des montagnes sombres, dans la merveilleuse lumière du clair de lune ». Et McMurtry poursuit : « In the American West est un travail complexe ; il fournit beaucoup de choses, notamment un commentaire [sur la série d’Adams]. Avedon nous montre les gens qui pourraient vivre dans ces petites maisons, près de ces montagnes, bavarder au clair de lune. Ils ne sont pas idéalisés, et rarement beaux. »
A l’occasion du centenaire de la naissance de Richard Avedon, le Amon Carter Museum of American Art présente donc un aperçu de cette collection avec l’exposition Avedon’s West : une sélection de 13 photographies originales parmi les 124 que comprenait l’exposition historique de 1985. Durant 40 ans, le travail d’Avedon a révélé le profond fossé entre le mythe et l’histoire, et la propension américaine à confondre les deux, que ce soit dans les textes ou les images.
Mais Avedon était plus lucide, montrant très clairement que les apparences peuvent être trompeuses. « Le portrait, c’est la performance », disait-il. « Je fais confiance aux performances. S’en éloigner n’est peut-être pas une bonne idée. »
Avedon’s West est exposé jusqu’au 1er octobre 2023 au Amon Carter Museum of American Art de Fort Worth, au Texas.