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Love Stories: ode à l’amour

Des années 1950 à aujourd’hui, la Maison européenne de la Photographie explore le sentiment amoureux à travers quinze histoires intimes à retrouver dans un livre paru aux éditions EXB.
René Groebli
Série L’Œil de l’amour, 1952: Collection MEP, Paris © René Groebli, courtoisie de l’artiste et de la galerie Esther Woerdehoff, Paris

Si la photographie est le médium incontestable du témoignage, apte à décrire le monde, les paysages, la guerre ou encore la vie ordinaire, quel est son potentiel quand il s’agit de montrer le sentiment amoureux, et par conséquent l’invisible et l’impalpable ? C’est le défi que s’est lancé Simon Baker. Intitulée « Love Songs, photographies de l’intime », l’exposition rassemblant environ 200 images est transposée dans un bel ouvrage paru aux éditions Atelier EXB. 

L’exposition présente 15 séries émanant de 16 photographes (dont deux travaillant en duo) au fil d’un parcours chronologique en deux temps, « comme les vinyles et les cassettes d’hier », souligne le directeur de la Maison européenne de la Photographie. Une visite sonore est proposée via un casque (deux jours par semaine) délivrant une playlist qu’il a concoctée lui-même « dont tous les titres comprennent le mot “amour”», précise-t-il avec un sourire.

Collier Schorr
Angel Z, New York, 2021 © Collier Schorr, courtoisie de l’artiste et de 303 Gallery, New York
Christine Guibert
T. au verre de vin, tête penchée, Santa Caterina, 1983 © Christine Guibert, Courtoisie de l’artiste et de Les Douches la Galerie, Paris

Chacune des quinze séries est un peu comme une chanson offrant sa propre interprétation du sentiment amoureux : « Face A : années 1950-2000 » et « Face B : années 2000-2020 ». « Mes points de départ sont deux ensembles qui font référence dans l’histoire de la photographie : “Sentimental Journey” (1971) du Japonais Araki et “The Ballad of Sexual Dependency” de l’Américaine Nan Goldin. Je me suis demandé quelles séries pourraient être leurs aînées et leurs héritières. », explique Simon Baker. 

De série en série, se déploient toutes les gammes du sentiment amoureux. Il y a les regards sensuels, comme ceux de René Groebli lors de son voyage de noce en 1952 ou encore Hervé Guibert sur Thierry entre 1976 et 1991. Et il y a les inconditionnels, comme Emmet Gowin qui saisit la femme de sa vie pendant 45 ans : « …photographier Edith reste le fil conducteur et l’expérience rédemptrice de ma vie », explique-t-il dans le catalogue. Pour elle aussi, à n’en point douter, car son attitude devant l’objectif tient à la fois de la mise en scène et de l’instantané, dans un consentement total. L’idée étant de rendre compte du passage du temps et de son empreinte sur le corps. 

Larry Clark
Sans titre, 1963 Série Tulsa: Collection MEP, Paris © Larry Clark, courtoisie de l’artiste et Luhring Augustine, New York
Hideka Tonomura
Mama Love, 2007 © Hideka Tonomura, courtoisie de l’artiste et de Zen Foto Gallery, Tokyo

De son côté, l’Américaine Collier Schorr franchit un pas supplémentaire avec sa compagne Angel Z. (nom donné à la série), celui de la performance face à l’objectif. Ce troisième œil qu’est l’appareil photo qui s’immisce et enregistre tout semble être le catalyseur de leur relation. Idem chez le Chinois Lin Zhipeng lorsqu’il photographie ses amants, alternance de scènes suggestives et crues et de vues romantiques, cherchant à traduire cet état second que procurent les émotions.

Représentatifs de l’histoire de la photographie, les ensembles réunis offrent d’abord un parcours en noir et blanc. « The Ballad of Sexual Dependency » (1973-1986) marque une rupture. Autant par l’usage de la couleur que par ce qui nous est donné à voir. Une histoire tumultueuse émaillée de violence entre Nan Goldin et son compagnon, et plus largement son cercle d’amis. C’était bien avant les portables et les réseaux sociaux, l’image était alors rare et précieuse et la démarche totalement nouvelle. Parce qu’elle montre tout, le meilleur comme le pire, voire l’insupportable, cette série pose la question du voyeurisme. Nan Goldin réfute cette idée, comme le raconte Simon Baker dans l’introduction du catalogue, car selon ses propres mots, elle ne peut pas être « voyeuse de sa propre vie ».  

Lin Zhipeng n°223
Lin Zhipeng (aka n°223), Mask & Cherry, 2011 © n°223. Courtoisie in)(between gallery
Nobuyoshi Araki
Série Winter Journey, 1989-1990: Collection MEP, Paris. Don de la société Dai Nippon Printing Co., Ltd. © Nobuyoshi Araki, courtoisie de l’artiste et de Taka Ishii Gallery

Peut-on tout photographier ? Faut-il tout montrer ? Les séries de Larry Clark sur la jeunesse en perdition de Tulsa (1963-1971) et « Proud Flesh » (2003-2009) de Sally Mann photographiant le corps de son mari atteint de dystrophie musculaire ramènent à ce même questionnement. Derrière la dimension documentaire des images, il y a ici l’implication personnelle. Tout comme Nan Goldin et les autres, l’histoire dont ils sont les témoins est aussi la leur. S’ajoute donc une part cathartique conférant à ces ensembles une intensité palpable. Même impression que l’acte photographique est salvateur et libérateur pour Hideka Tonomura quand elle se fait la témoin de la liaison de sa mère : « Pour la première fois je me suis rendu compte que ma mère m’aimait ».

Au fur et à mesure, les projets se font plus expérimentaux, côté contenant comme contenu. Se présentant sous la forme d’une installation, « Foreign Affair » (2011) de JH Engström & Margot Wallard est représentative de l’évolution des pratiques photographiques contemporaines qui, cette dernière décennie, ont renouvelé le médium en profondeur. « Foreign Affair » raconte l’euphorie des premiers mois d’une relation amoureuse : « Nous étions au milieu d’une passion imparable et aveugle ». En mêlant papiers-peints et tirages encadrés de différents formats dispersés sur les murs, noir et blanc et couleur, la scénographie débridée réalisée par les auteurs eux-mêmes rend compte de l’exaltation visible dans les images. 

« Love Songs, photographies de l’intime », du 30 mars au 21 août, Maison européenne de la Photographie, 5/7, rue de Fourcy, Paris IVe.

Visites sonores tous les jeudis de 18h30 à 22h et les dimanches de 10h à 20h.

Catalogue français uniquement, 224 pages, 230 photos, coédition Atelier EXB/MEP, 45 €.

JH Engström & Margot Wallard
Série Foreign Affair, 2011 © JH Engström & Margot Wallard, courtoisie de l’artiste et de la galerie Jean-Kenta Gauthier, Paris

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