En 2020, le photojournaliste Finbarr O’Reilly était le lauréat de la 11e édition du Prix Carmignac du photojournalisme, précieux soutien financier pour la production d’un reportage sur la République démocratique du Congo (RDC). Mais l’épidémie de Covid-19 a joué le trouble-fête.
O’Reilly et l’équipe du Prix décident alors de revoir le projet et de travailler avec un collectif de journalistes et des photographes congolais. Avec un objectif : témoigner des problèmes sociaux et écologiques auxquels la RDC a été confrontée dans le contexte de la crise sanitaire. Ce travail est actuellement présenté au Bronx Documentary Center de New York, dans le cadre de l’exposition « Congo in Conversation » qui regroupe les travaux de 12 photographes.
L’histoire tourmentée de la RDC
Deuxième pays le plus grand d’Afrique, la RDC est le quatrième plus peuplé. Mais le pays connaît de nombreux troubles, dont la source remonte à la fin du XIXe siècle et l’administration de l’Etat libre du Congo par le roi belge Léopold II. Travail forcé, torture, manipulation des différentes communautés… selon la BBC, ces mesures, couplées à la famine et aux maladies, auraient causé au total la mort d’environ 10 millions personnes. C’est en 1908 que le gouvernement belge se voit forcé de reprendre des mains de Léopold II le contrôle du territoire.
En 1960, la RDC obtient finalement son indépendance, mais les cicatrices héritées du régime colonial ne se sont pas refermées. Une guerre civile éclate, suivie par la prise de pouvoir violente du dictateur Mobutu Sese Seko. De 1996 à 2005, le pays connaitra des années de troubles entre différentes factions luttant pour le pouvoir, entraînant le pays dans le cercle vicieux de la corruption, du banditisme et de la pauvreté.
En décembre 2018, l’élection de Félix Tshisekedi à la présidence a marqué la première transition démocratique du pouvoir dans l’histoire de la RDC. Si l’espoir d’une véritable stabilité politique et économique a émergé, beaucoup de chemin reste à parcourir.
Alors que le Congo détient plus de 50% de la réserve hydraulique de l’Afrique, seulement 30% de la population a accès à l’eau potable et 8% à l’électricité en permanence. La malnutrition et les maladies telles que le paludisme, le sida ou le virus Ebola font des ravages dans la population. Ajoutons que la violence est endémique, causée par la présence de nombreux groupes armés. Et malgré les importantes ressources naturelles du pays, la pauvreté reste toujours une préoccupation majeure.
« Beaucoup de gens se battent aujourd’hui pour rendre les choses meilleures »
Si l’exposition vise à alerter sur la situation actuelle du pays, dont les problèmes ont été aggravés par la pandémie mondiale – économie, accès à l’eau potable, sécurité, santé, et environnement – elle porte en elle la volonté de mettre en lumière le travail des photographes congolais.
Elle offre à ces photographes et journalistes le moyen de présenter leur travail à un public plus vaste, d’être accompagnés dans leur travail et de tisser des liens avec les médias internationaux.
Arlette Bashizi, l’une des photographes présentées dans l’exposition, a découvert très tôt sa vocation de reporter, et poursuivi des études de journalisme à l’université. Elle s’est tournée vers Instagram, où elle a pu partager son travail et établir des liens avec d’autres photographes. Grâce au réseau social, elle a connu O’Reilly, qui lui a donné des conseils pour apprendre à construire un reportage photo. Après avoir remporté le prix de photojournalisme Carmignac, O’Reilly l’a intégrée dans le projet « Congo in Conversation ».
« Quand le projet a vu le jour, j’ai réalisé mon premier reportage publié. C’est à ce moment précis que j’ai senti que je pouvais faire carrière en tant que photographe et que ce n’était pas seulement un passe-temps, comme on le considère souvent dans mon entourage.»
Arlette Bashizi espère que son travail aidera à donner une meilleure visibilité sur la situation de la RDC. « Pendant longtemps, de nombreuses choses terribles ont eu lieu au Congo, comme la guerre, la violence et tout ce qui en découle. Mais beaucoup de gens se battent aujourd’hui pour rendre les choses meilleures et les médias internationaux n’en parlent pas souvent. J’essaie de mettre tout cela en lumière avec mon appareil photo. En tant que femme congolaise, je documente les réalités de la vie quotidienne. » Ces images narratives du peuple congolais expriment, notamment, sa résilience face aux épreuves. Malgré la crise économique et la difficulté de trouver un emploi.
« Dans la région du Congo d’où je viens, les gens vivent dans des conditions difficiles, mais essaient de se débrouiller. Pour aller de l’avant, ils essaient de survivre tout en espérant un avenir meilleur. Nous avons un taux de chômage élevé, et à la fin de nos études, rien ne nous garantit que nous trouverons un emploi », raconte la photographe. « Mais il y a des jeunes qui, au lieu de rester en marge de la vie active, décident, un beau jour, de créer leur propre entreprise. Parfois, ce sont de petites entreprises, mais elles permettent aux gens de nourrir leur famille malgré les conditions précaires où ils vivent. »
En montrant au monde ce qui se passe réellement en RDC, Bashizi espère que la communauté internationale collaborera plus étroitement avec le gouvernement pour tenter de résoudre certains problèmes du pays, et permettre aux Congolais de prendre en main son développement.
Étendre le projet au reste de l’Afrique
« Résoudre, une fois pour toutes, les problèmes d’insécurité en RDC », c’est ce qu’espère Arlette Bashizi pour l’avenir du pays. « En particulier à l’Est, car c’est l’un des plus beaux endroits touristiques du monde. Des sites, comme le volcan Nyiragongo et son parc naturel, s’ils étaient sécurisés, généreraient des millions de dollars et donneraient du travail à de nombreux jeunes Congolais. Mais dans ce climat de conflit et d’insécurité, il est même difficile de faire des études », regrette-t-elle.
« Congo in Conversation » a déjà contribué à changer la vie des photographes qui y ont participé. En donnant un écho plus vaste au journalisme local, ce projet a montré que le reportage en Afrique permettait de sensibiliser l’opinion sur les enjeux territoriaux. Et il fournit une feuille de route sur la manière dont ce type de projet pourrait être entrepris dans d’autres pays d’Afrique, voire dans d’autres régions du monde.
« Je pense que ce genre de projet, au Congo et dans le reste de l’Afrique, pourrait aider efficacement les photojournalistes africains à largement documenter les réalités de leurs pays respectifs », considère Arlette Bashizi. « Grâce au projet, nous avons été recrutés par des magazines, des ONG et des agences des Nations Unies. La plupart d’entre nous ont commencé une carrière dans la photographie et nous en sommes reconnaissants. »
L’exposition Congo in Conversation sera présentée au Bronx Documentary Center jusqu’au 16 octobre. Des informations sur la Fondation Carmignac et le Prix du Photojournalisme sont disponibles sur leur site web ici.