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Magnum au féminin, 12 regards de femmes 

Avec l’exposition itinérante « Close Enough », l’agence Magnum présente les nouvelles expressions photographiques des 12 femmes de la célèbre agence. Une exposition à découvrir au Hangar de Bruxelles.

On connaît la célèbre formule de Robert Capa : « Si la photo n’est pas assez bonne, c’est que vous n’êtes pas assez proche ». La phrase du grand photographe et cofondateur de Magnum a été la signature de l’agence renommée depuis sa fondation en 1947. Mais est-elle encore d’actualité ? L’exposition « Close Enough » pose cette question et y apporte une nouvelle définition à travers le regard des 12 femmes photographes de Magnum. Présentée d’abord l’année dernière à New York, l’exposition itinérante imaginée par la curatrice américaine Charlotte Cotton s’établit désormais au lieu d’exposition du Hangar de Bruxelles jusqu’au 16 décembre prochain.

Un souffle nouveau

Magnum a une image qui lui colle à la peau, mythique certes, mais tenace : celle d’une agence d’archives des grands noms de la photographie du XXe siècle, souvent masculins, témoins des grandes crises sociales et évènements passés, souvent en noir et blanc. 

C’est même ce qui déstabilise les spectateurs au premier coup d’œil de cette exposition, attirés par la marque Magnum et son lot de symboles, tant les écritures des ces 12 femmes photographes apportent une nouvelle dynamique à l’agence qui vient de souffler ses 75 bougies. Ici souffle un vent nouveau. « Ensemble, elles questionnent et repoussent les frontières de l’agence, renforçant l’ancrage de Magnum dans une quête photographique témoin de l’expérience et de la survie humaines », détaille Charlotte Cotton (USA), curatrice de l’exposition.

Adeshina, 25 ans, étudiante, en couple. Lagos, Nigeria, 23 novembre 2018 © Cristina de Middel, Magnum Photos
Un refuge dans le pays noir, Dawn, Suite 7. Angleterre, 2016 © Susan Meisel

Olivia Arthur, Myriam Boulos, Sabiha Çimen, Cristina de Middel, Bieke Depoorter, Carolyn Drake, Nanna Heitmann, Susan Meiselas, Hannah Price, Lua Ribeira, Alessandra Sanguinetti et Newsha Tavakolian… Qu’elles soient déjà membres de l’agence ou en cours de l’être, ces 12 femmes représentent trois générations de photographes, soit autant d’écritures différentes. « C’est l’occasion de montrer que l’agence a évolué et de donner l’envie aux femmes de postuler à des agences comme Magnum », ajoute Delphine Dumont, directrice du Hangar de Bruxelles.

La bonne distance

« Le “Close Enough” de Capa correspondait au contexte d’un champ de bataille, il est aujourd’hui revisité par ces projets. La question est ici de savoir comment se rapprocher de son sujet, comment gagner la confiance, comment on approfondit la problématique, comment on s’en approche au plus près. Et qui veut dire au plus près veut dire aussi un travail au long cours », détaille la directrice. Ce qui frappe dans cette dizaine de travaux, c’est bien le choix du temps long. Les travaux présentés sont le résultat d’années de couverture d’un même sujet. 

La photographe britannique Olivia Arthur a dédié une grande partie de ses projets à l’identité des corps et livre ici une sélection de plusieurs années de réflexion : « Dans sa sélection de 46 images, elle puise dans plus de 5 ans de travail. La sélection commence d’ailleurs par sa grossesse, où elle voit son propre corps changer », raconte Delphine Dumont. Photographe de l’intime, Olivia Arthur livre une fresque du mouvement du corps où parfois la technologie vient épauler les imperfections et souffrances d’une vie. 

Et que dire du travail d’Alessandra Sanguinetti. La photographe américaine a passé 24 ans à observer et photographier ses cousines Guille et Belinda dans les régions reculées d’Argentine et livre un témoignage photographique d’une grande tendresse. « Chacune à leur manière, les photographes participantes explorent le droit d’immortaliser, leur distance et leur implication par rapport à leurs sujets et à leurs expériences », détaille la curatrice Charlotte Cotton. 

Extrait de For the Sake of Calmness, 2020. © Newsha Tavakoliann, Magnum Photos
Des milliers de manifestants sont descendus dans les rues des villes russes pour protester contre la décision de Poutine d'envahir l'Ukraine. Cependant, la police a souvent été plus nombreuse que les manifestants. Plus de 14 000 personnes ont été arrêtées, selon OVD-info © Nanna Heitmann/Magnum Photos
Des milliers de manifestants sont descendus dans les rues des villes russes pour protester contre la décision de Poutine d’envahir l’Ukraine. Cependant, la police a souvent été plus nombreuse que les manifestants. Plus de 14 000 personnes ont été arrêtées, selon OVD-info. © Nanna Heitmann/Magnum Photos
Espagne, 2022, de la série “Agonie dans le jardin” © Lua Ribeira_Magnum Photos

La Belge Bieke Depoorter livre sûrement le projet plus marquant de l’exposition en y apportant une réflexion profonde sur l’approche du sujet et sur le métier en lui-même. « Elle se trouve à mille lieues de l’ADN de Capa ou de l’instant décisif de Henri Cartier-Bresson », note Delphine Dumont. Son travail se construit en deux temps et prouve à lui seul l’évolution de l’approche photographique. 

A partir de 2011, la photographe se rend en Egypte dans le but de dresser un portrait intime du pays. L’idée est simple : passer la nuit chez l’habitant et photographier les intérieurs, le quotidien et la vie qui s’y passe. Mais le contexte de la révolution n’aide pas et les Egyptiens sont de plus en plus réticents à ouvrir les portes de leur intérieur. « J’ai pris progressivement conscience de mon statut d’étrangère, tant culturellement qu’en tant que photographe », explique Bieke Depoorter qui, en 2016, abandonne la première maquette de son livre. « N’étais-je qu’une visiteuse de plus qui était parvenue à prendre des photographies de “l’autre” ? », se questionne-t-elle. Elle décide alors de renverser son projet. Depoorter retourne en Egypte avec ses photos et parcourt le pays en demandant à des Egyptiens qu’elle n’avait pas photographié auparavant d’annoter leur avis au marqueur blanc directement sur la photo. 

Chaque cliché devient légendé de réflexions et réactions aux photographies. Il faut prendre le temps de les lire. Certains commentaires sont poétiques, d’autres descriptifs, il y a aussi des anecdotes personnelles et des critiques sur les photos. « Dans l’islam, vous n’avez pas le droit de montrer la nudité », est-il par exemple annoté sur la photo d’un gamin prenant une douche dans la pénombre d’une pièce. « Ainsi des personnes qui ne m’auraient jamais autorisée à les photographier prenaient également part au projet, enrichissant de perceptions contrastées sur le pays, de la religion, de la société et du médium photographique », explique la photographe qui livre ainsi une oeuvre quittant le cadre de la photographie documentaire classique.  

Adrienne and Zion, Water Valley, Mississippi, USA, 2019 © Carolyn Drake, Magnum Photos
Le collier, Buenos Aires, Argentine, 1999 © Alessandra Sanguinetti, Magnum Photos
Un avion survole en rase-mottes des étudiants qui prennent le train dans une fête foraine au cours du week-end. Istanbul, Turquie, 29 août 2018 © Sabiha Çimen, Magnum Photos

Mais l’évolution de la pratique documentaire n’appartient pas seulement à la nouvelle génération. Susan Meiselas en est le meilleur exemple. La photojournaliste américaine de renom, 75 ans et membre de Magnum depuis 1976, montre qu’elle aussi a fait évoluer son approche. Nous sommes à mille lieues de sa célèbre photo de L’homme au cocktail Molotov prise au Nicaragua en 1979. Meiselas a poussé la porte d’un refuge pour femme pour recueillir leurs témoignages. « Elle a choisi de ne pas les montrer mais de photographier leur chambre et leurs œuvres », illustre Delphine Dumont. Ne sont exposés que ces intérieurs et ces dessins de résidentes qui donnent par les objets et les expressions artistiques un portrait touchant de ces femmes en reconstruction. « Je me souviens que lorsque je suis entrée, j’ai eu l’impression que cette chambre était le reflet de vie de son occupante. J’ai ressenti sa présence alors qu’en réalité, elle n’était pas là », écrit la photographe.  

A l’image de Susan Meiselas, « Close Enough » s’approprie l’héritage de Capa et y appose une nouvelle vision de la photographie tout en dépoussiérant les lettres de Magnum. « Avec détermination, importance et ingéniosité, chacune des photographes rend compte de sa pratique artistique en nous invitant à nous en rapprocher », insiste Charlotte Cotton. 

« Close Enough », au Hangar, Bruxelles, jusqu’au 16 décembre 2023. Également en exposition au Hangar : Rising Circles de Georges Rousse.

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