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Marcus Leatherdale, photographe de la scène artistique de New York, est mort 

Marcus Leatherdale, le photographe charismatique qui a documenté la scène artistique à New York dans les années 1980, s’est suicidé le 22 avril dernier à l’âge de 69 ans.

Originaire de Montréal, Marcus Leatherdale s’installe à San Francisco dans les années 1970 pour étudier la photographie au San Francisco Art Institute. Il s’oriente rapidement vers le portrait, une pratique qu’il maîtrisera plus tard en déménageant à New York au printemps 1978. Nouvellement arrivé en ville, Leatherdale séjourne dans le loft de Robert Mapplethorpe, alors que le photographe est à Amsterdam. 

« Je n’avais que 25 ans et je n’avais pas beaucoup d’amis », se souvient-il en 2019. « J’ai appris à connaître New York grâce à Robert Mapplethorpe, Marcia Resnick et Larissa – et en allant au Studio 54 deux fois par semaine. Je me souviens y être allé un soir et un millier de personnes étaient dehors, alors je suis monté sur une bouche d’incendie pour voir ce qui se passait. Steve Rubell, le propriétaire, m’a montré du doigt, et la mer s’est ouverte. J’avais un ange gardien à New York. »

En punk dans l’âme, Marcus Leatherdale se rase la tête avant que cela ne soit à la mode. « C’est peut-être pour ça que je me suis fait remarquer », dit-il.« Les gens me disaient : “Tu es un beau garçon. Pourquoi tu te rases la tête ?” et je répondais : “Juste comme ça !” Je faisais le pogo sur la piste de disco jusqu’à l’ouverture du Mudd Club, qui a tout changé. »

Divine Reclining, 1981 © Marcus Leatherdale
Divine Reclining, 1981 © Marcus Leatherdale

Alors qu’il devient un incontournable de la trépidante scène nocturne de la ville, Leatherdale se rapproche des sommités de l’époque, photographiant des artistes, des performeurs et des mannequins, dont Andy Warhol, Madonna et Debbie Harry, ainsi que des icônes underground comme l’artiste Leigh Bowery, la productrice d’événements Susanne Bartsch et le chanteur de cabaret Joey Arias. En 2019, il publie enfin les photos dans le livre Out of the Shadows – Marcus Leatherdale : Photographs New York City 1980-1992 (ACC Art Books), qui comprend un essai lumineux écrit par son ancienne épouse depuis 39 ans, Claudia Summers.

Un nouveau venu en ville

A son arrivée à New York en 1978, Marcus Leatherdale s’intègre rapidement au monde artistique du centre-ville. « J’ai appris à connaître des gens comme Andy Warhol, qui était mon idole à l’époque », déclare t-il en 2019. « Andy a toujours été gentil avec moi. Une fois, nous étions au Radio City Music Hall et il était en train de photographier. Puis il s’est retourné vers moi et m’a dit : “Je ne sais même pas s’il y a de la pellicule dans l’appareil photo, mais ça les fait se sentir bien.” Le fait qu’il prenne une photo n’avait rien à voir avec le fait d’obtenir une bonne photo ; il s’agissait de créer un moment. Ce quart d’heure de gloire, il le donnait aux gens. Il faisait attention à vous et vous vous sentiez comme un million de dollars. »

Andy Warhol, 1983 © Marcus Leatherdale
Andy Warhol, 1983 © Marcus Leatherdale

Plus tard, Leatherdale commence à travailler comme chef de bureau et sujet photographique de Robert Mapplethorpe. « Robert avait un processus très différent du mien », raconte Leatherdale. « Il avait une idée particulière et tissait une toile. Vous étiez photographié comme une nature morte – un objet de beauté, de désir, ou tout autre objet sur lequel il se concentrait. C’est froid, comme la beauté du marbre. C’est ce qu’il voulait et il l’a très bien fait. »

Grâce à Mapplethorpe, Marcus Leatherdale apprend les réalités pratiques de la gestion d’un studio de photographie et comment survivre dans le monde de l’art new-yorkais. « Il était utile d’avoir un apprentissage pratique », se souvient-il. « Robert était en train d’apprendre lui-même quand nous nous sommes rencontrés. Sam Wagstaff le soutenait, mais ce n’était pas encore une économie régulière. »

L’énergie de l’East Village

Dianne Brill, 1987 © Marcus Leatherdale
Dianne Brill, 1987 © Marcus Leatherdale

Après avoir terminé son travail pour Robert Mapplethorpe, Marcus Leatherdale devient l’assistant du conservateur Sam Wagstaff, tout en lançant sa propre carrière de photographe. En 1978, Leatherdale et Claudia Summers s’installent dans un loft sur Grand Street, à l’est du quartier de Bowery, peu avant de se marier. « Claudia et moi nous sommes rencontrés à San Francisco et il s’est avéré que nous allions tous les deux déménager à New York », dit Leatherdale en 2019. 

Claudia Summers se souvient : « Nous sommes tous deux arrivés à New York en même temps, mais je ne savais pas où était Marcus. Mon premier jour, je marchais sur Bowery et je l’ai croisé. À partir de ce moment-là, nous étions unis à vie. Le loft a connu un afflux constant d’amis qui sont devenus des icônes culturelles et des personnes vivant de manière créative en marge de la société. Marcus les traitait tous avec le même respect qu’il accordait à Andy Warhol. »

Summers, pas tant que ça. « Claudia n’était pas une fille du Studio 54. Elle avait l’habitude de raccrocher au nez des célébrités lorsqu’elles appelaient, en disant : “Je suis déjà en ligne”», racontera Leatherdale en riant. 

Claudia Summers, qui deviendra ensuite écrivaine, musicienne et dominatrice, raconte : « Marcus m’a toujours considérée comme sa muse, mais je pensais que c’était quelque chose de bien plus profond que cela. Il reconnaissait que j’étais une femme complexe avec de nombreuses facettes, et il voulait capturer tous les traits de ma personnalité. »

Dominatrix-Mistress Juliette, NYC 1984 © Marcus Leatherdale
Dominatrix-Mistress Juliette, NYC 1984 © Marcus Leatherdale

Pour Leatherdale, un portrait d’une certaine profondeur est une collaboration qui exige des concessions. Contrairement à Mapplethorpe, il ne se rend pas à ses séances photo avec une idée préconçue. « J’étais intrigué par la personne en face de moi, et je voulais faire ressortir cela », explique Leatherdale. « C’était une canalisation – il fallait juste laisser la magie opérer. Je ne contrôlais pas la situation. On a joué et on a fait beaucoup d’images, et finalement quelque chose en est sorti. »

Sous l’œil du public

En 1983, Marcus Leatherdale s’associe au styliste Issey Miyake pour la réalisation d’un livre intitulé Body Works, dans lequel des célébrités telles que Grace Jones et Tina Chow portent les vêtements avant-gardistes du créateur japonais. « Miyake voulait qu’un photographe non spécialisé dans la mode photographie la mode. De nos jours, c’est une pratique commune, mais à l’époque, ce n’était pas le cas », explique Leatherdale en 2019. « Il voulait que je choisisse des modèles qui ne soient pas de la mode et j’en ai choisi quelques-uns comme Iman et Pat Cleveland, mais j’ai aussi choisi Andy Warhol. Il portait un smoking noir et portait la main à son visage pour cacher une tache. »

La même année, Marcus Leatherdale commence à produire sa célèbre série de photographies intitulée « Hidden Identities » alors qu’il assiste à une fête inspirée du mouvement Dada à la boîte de nuit Underground, à New York. Il transforme la cage d’une go-go danseuse en un studio photo improvisé et commence à réaliser des portraits qui cachent le visage de la personne assise. L’idée a un fort écho et les habitués du club font la queue, attendant l’œil subversif du photographe.

Joey Arias, 1987 © Marcus Leatherdale
Joey Arias, 1987 © Marcus Leatherdale
Leigh Bowery, 1990 © Marcus Leatherdale
Leigh Bowery, 1990 © Marcus Leatherdale

« À l’époque, il était plutôt inhabituel de voir des personnes célèbres se cacher devant un appareil photo. L’idée était que votre style personnel était suffisant pour être reconnaissable. Vous n’aviez pas besoin de voir le visage d’une personne pour savoir qui elle était », déclare Leatherdale en 2019.« Peu de temps après, Stephen Saban et Annie Flanders sont venus et m’ont dit qu’ils lançaient un magazine, Details, et qu’ils aimeraient que j’aie une page avec ces images. J’avais une liberté totale. Cela a duré 10 ans. Je l’aurais fait pour aucune somme d’argent. »

Sortir de l’ombre

Pendant des années, Marcus Leatherdale évite alors de regarder les photographies qu’il a réalisées, ne voulant pas revisiter ce chapitre de son histoire. « Ces photographies sont restées dans mon placard pendant longtemps », dit-il, en pensant à l’impact dévastateur de l’épidémie du sida. « C’était une période très difficile. Je connaissais Henry Post, l’une des premières personnes à décéder du sida. Je me souviens d’être allé à l’hôpital et d’avoir dû porter toute une tenue comme si j’allais dans une zone radioactive. J’entrais dans sa chambre, j’enlevais tout, je m’asseyais sur le lit et je parlais à Henry. Les infirmières l’apprenaient et quand je sortais, elles se collaient au mur comme si j’étais un Godzilla radioactif. Mais je savais qu’on ne l’attrapait pas en tenant la main de quelqu’un. »

En 1988, Leatherdale photographie Stephen Reichard, un mois avant sa mort du sida, assis nu sur une chaise, le corps ravagé par la maladie et un médicament expérimental. Ce jour-là, Reichard dit au photographe qu’il veut « un portrait de la mort », qui rappelle le travail du peintre autrichien Egon Schiele, l’un des préférés de Leatherdale. 

« C’est la seule fois où Marcus a photographié de manière flagrante quelqu’un qui était malade parce qu’il voulait documenter ce à quoi Steve ressemblait », explique Claudia Summers. « Lorsque Steve a sonné, il lui a fallu du temps pour monter les escaliers car il était très faible. Puis il s’est déshabillé, et Marcus l’a photographié. C’était un moment rare pour quelqu’un qui célébrait la beauté et le glamour. C’est probablement la seule photographie que Marcus ait jamais prise où il s’est débarrassé de toute illusion. Cette photographie, et le souvenir de la vie de Steve, symbolise ce que nous vivions. »

Madonna, 1983 © Marcus Leatherdale
Madonna, 1983 © Marcus Leatherdale
Larissa, 1983 © Marcus Leatherdale
Larissa, 1983 © Marcus Leatherdale

Tout ça et Woodstock, aussi

« Marcus Leatherdale a photographié l’histoire », dit Claudia Summers. « C’était un moment culturel pur et riche, qui a contribué à la reconnaissance de toutes sortes de sexualités ambiguës, alors qu’elles étaient encore hors-la-loi. Marcus a documenté une époque et des moments à New York qui pouvaient sembler éphémères, mais qui permettaient en fait de s’ouvrir vers l’extérieur et quelque chose de plus durable. Vous ne restiez pas dans votre propre petit monde. »  

En 2019, Marcus Leatherdale parle ainsi avec philosophie des joies de l’ère pré-gentrification de New York, qu’il considère comme la meilleure période de l’histoire de la ville. « À cette époque, vous n’aviez pas besoin de carte de crédit, vous n’aviez pas besoin de réservations. Vous aviez simplement besoin d’être vous, d’être intéressant et c’était suffisant. Et si vous étiez toutes ces choses, rien ne vous coûtait. Je n’ai jamais payé pour entrer dans les clubs, pour des boissons, de la drogue ou des cigarettes. J’étais un peu plus indulgent à l’époque. J’ai tout fait pendant un an ou deux, puis j’ai tout arrêté. Je n’ai pas fumé une cigarette ni bu un verre en 40 ans. Mais j’ai pris tellement de LSD que je ne me rappelle pas que je suis allé à Woodstock. On dit que si on se souvient des années 1960, c’est qu’on n’y était pas vraiment. » 

Issey Miyake, 1983 © Marcus Leatherdale
Iman pour Issey Miyake, 1983 © Marcus Leatherdale

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