« Chroniqueur de notre temps » disait Thomas Veski, son biographe, à propos de Martin Parr, qui affirme avoir toujours su qu’il deviendrait photographe. C’est son père, George Parr, amateur de photographie qui l’a encouragé à prendre ses premières images, une série photographique d’une célèbre boutique de fish and chips dans le Yorkshire. Sur trois étages, le centre de photographie bruxellois Le Hangar revient dans la première rétrospective en Belgique du photographe sur quinze séries emblématiques de celui qu’on considère comme l’un des représentants les plus importants et les plus célèbres de la photographie documentaire contemporaine. Satiriste des temps modernes, il n’a jamais cessé de poser son regard ironique, décalé sur le monde qui l’entoure et en particulier, le monde occidental.
Parr a vingt-trois ans lorsqu’avec sa compagne Susie Mitchell, ils s’installent en 1975 dans la petite ville de Hebden Bridge, dans le Yorkshire. La vie y est peu chère, sans prétention, vraie, digne et durant cinq ans, Parr photographiera aussi bien la nature que la vie des ouvriers, des mineurs, des paysans, des croyants, des gardes-chasse, des colombophiles. Le photographe considère alors son travail « comme une célébration ». Ces images formeront sa première série importante, « The Non-Conformists », du nom des chapelles méthodistes et baptistes qui prolifèrent, prise en noir et blanc. Comme pour son projet suivant, « The Bad Weather », où, partant d’une obsession pour le climat des Anglais, Parr ira à contre-courant de ce qu’on attend de lui. « D’habitude on vous dit de ne photographier que quand la lumière est bonne et le temps ensoleillé et j’aimais cette idée de ne photographier que par mauvais temps, comme une manière de subvertir les règles traditionnelles. »
C’est à partir de 1982 que le travail du photographe va connaître un réel bouleversement. Du noir et blanc, il passe à la couleur. La célébration se transformera alors en critique du monde qui l’entoure. Parr cherche maintenant à insérer de l’ambiguïté dans ses images. De l’ironie. Il convoque ainsi l’humour anglais qui lui est cher. « Nous avons un sens de l’humour et de l’ironie incroyable. C’est essentiel dans mon travail (…) une composante fondamentale de la photographique britannique. C’est notre manière d’être et de nous définir. » Martin Parr dénonce dans « The Last Resort » la fin d’un monde (le monde ouvrier) et de ses valeurs, ainsi que l’avènement d’une nouvelle conception de la vie. Dans un entretien réalisé pour le musée du Jeu du Paume, à Paris, dans le cadre de son exposition « Planète Parr » en 2009, il dit : « Je suis moi-même très classe moyenne et j’apporte certainement à mon travail de photographe ma sensibilité de classe moyenne. »
L’Angleterre sera et restera toujours le sujet de prédilection de Martin Parr. Il photographiera les périphéries mais aussi l’establishment britannique et les élites qui dirigent le pays. « La photographie traditionnelle choisit la pauvreté comme thème pour illustrer le souci pour l’autre, moi je photographie la richesse comme thème de souci humain. » Cette exploration de la richesse le mènera à Dubaï, Durban, Miami ou Moscou où il photographiera les défilés de mode, les foires d’art, les marchés de produits de luxe ou encore les champs de courses hippiques. Dans la lignée de ses projets sur les classes moyennes et ouvrières, Parr pose dans « Luxury » un œil intransigeant sur les comportements d’une classe internationale dont les codes sociaux sont fondés sur l’ostentation et la dépense.
Le tourisme de masse (dont ses photos prises dans les stations balnéaires sont les plus connues) sera aussi un de ses sujets de prédilection qu’il capturera dans plusieurs séries: « The Last Resort », « Small World » ou encore « Knokke-Le-Zoute », et aux quatre coins du monde. « On peut en apprendre énormément sur un pays en regardant ses plages : d’une culture à l’autre, il s’agit d’un des rares espaces publics où l’on croise les bizarreries et les excentricités qui caractérisent une nation. » De ses nombreux voyages, il ramènera à chaque fois un souvenir bien particulier : un autoportrait. Cette galerie de photos intitulée « Self-Portraits » est composée d’images prises par un photographe professionnel, un amateur local ou encore dans un Photomaton où Parr s’amuse de l’imagerie populaire des vacances. Des photographies numériques manipulées à outrance aux clichés de studio sur fond exotique en passant par les portraits colorisés, en cosmonaute ou en judoka aux côtés de Vladimir Poutine, on retrouve l’humour cinglant de l’artiste que l’on voit évoluer au fil des années. Il poursuivra cette étude du tourisme et consacrera une nouvelle série à l’autoportrait « Death by Selfie » et à ce qui a changé de façon spectaculaire le rituel d’une visite touristique : le selfie.
Passionné d’images, Martin Parr est aussi un collectionneur d’objets, de cartes postales et de beaux livres, et un éditeur. Membre de Magnum depuis 1994, il a encouragé les photographes de l’agence à élargir leur conception de la photographie documentaire sociale, créant un réel bouleversement dans ce milieu. Il n’a jamais cessé de remettre en question le monde qui l’entoure à travers ses représentations. Dans la préface de sa monographie Luxe, le styliste Paul Smith parle du photographe en ces mots : « Chez Martin, il s’agit de révéler des choses, de montrer ce que nous sommes et comment nous vivons, de dépeindre la vie humaine telle qu’elle est et non telle que nous aimerions qu’elle soit. » La vie humaine de Martin Parr ? Une vie pleine d’humour, d’exubérance, d’émerveillement, avec toujours une pointe de regret.
« Parrathon », du 17 septembre au 18 décembre 2021, Hangar, Place du Châtelain 18, 1050 Bruxelles, Belgique