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Martine Franck, fragments sensibles

La collection 100 photos pour la liberté de la presse de Reporters sans frontières met à l’honneur pour la première fois la photographe belge Martine Franck, épouse d’Henri Cartier-Bresson et membre de Magnum Photos.

« J’ai senti intuitivement que j’avais trouvé ma voie. J’allais devoir travailler beaucoup. J’allais devenir photographe »

Quelle photo pourrait résumer le regard de Martine Franck ? Peut-être bien celle prise à l’hôpital Charles-Foix d’Ivry-sur-Seine en 1975. Une femme âgée fixe l’objectif de son regard brillant et de son grand sourire, sa main gauche entoure son oeil comme si elle-même faisait la mise au point avant de déclencher. Il y a de la tendresse, de la malice, de la joie dans cette photo. Tout le respect et l’approche amicale avec lesquels Martine Franck posait son objectif devant les aînés, les pensionnaires d’hôpitaux, les ouvriers, les femmes et les précaires. Martine Franck a donné un visage à ceux qu’on ne voit pas, aux marginaux, au démunis, aux oubliés, elle a porté fièrement par l’image ses engagements et ses valeurs.

Hôpital Charles-Foix, Ivry-sur-Seine, 1975. Édifié sous le Second Empire sous le nom d’hospice des Incurables d’Ivry, l’hôpital est spécialisé en gériatrie © Martine Franck / Magnum Photos
Hôpital Charles-Foix, Ivry-sur-Seine, 1975. Édifié sous le Second Empire sous le nom d’hospice des Incurables d’Ivry, l’hôpital est spécialisé en gériatrie © Martine Franck / Magnum Photos

La collection 100 photos pour la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF) rend pour la première fois hommage à la photographe belge, née à Anvers le 2 avril 1938 et décédée en 2012, épouse d’Henri Cartier-Bresson et membre de Magnum Photos. « Martine était une personne belle et une belle personne », écrit dans l’album sa grande amie de toujours Ariane Mnouchkine, fondatrice et directrice du Théâtre du Soleil, avec qui elle réalisera un voyage initiatique de jeunesse du Japon au Pakistan en passant par le Cambodge et l’Iran. De ces voyages viendra chez Martine Franck la joie et l’évidence pour l’image : « J’ai senti intuitivement que j’avais trouvé ma voie. J’allais devoir travailler beaucoup. J’allais devenir photographe. »

Auprès des femmes et des marges

« Voici Martine Franck pratiquant, ce n’est pas banal, le regard amical, seule attitude établissant l’échange confiance-respect que l’on peut lire sur ses images. » Robert Doisneau avait saisi chez elle son regard humaniste, cette capacité naturelle à se pencher vers l’autre, à l’écouter. 

« Je me suis toujours intéressée à la cause des femmes. J’ai beaucoup photographié les mouvements féministes, toutes les tentatives qui menaient à une libération des droits des femmes, partout dans le monde. »

Martine Franck
Henri Cartier-Bresson, Martine Franck, Venise, Italie, 1972. © Fondation Henri Cartier-Bresson/Magnum Photos
Henri Cartier-Bresson, Martine Franck, Venise, Italie, 1972. © Fondation Henri Cartier-Bresson/Magnum Photos
Bouclage du premier numéro du journal Le Torchon brûle, Paris, mai 1971. Le numéro zéro paru en décembre 1970 est encarté dans le premier numéro de L’Idiot Liberté, journal fondé par Jean-Edern Hallier © Martine Franck / Magnum Photos
Bouclage du premier numéro du journal Le Torchon brûle, Paris, mai 1971. Le numéro zéro paru en décembre 1970 est encarté dans le premier numéro de L’Idiot Liberté, journal fondé par Jean-Edern Hallier © Martine Franck / Magnum Photos

Martine Franck n’est pas une photographe militante. Ses photos racontent. Elle se rapproche du Mouvement de libération des femmes (MLF), couvre les manifestations, se rend auprès des grévistes ou des sans-papiers et fait de la cause des femmes un de ses engagements majeurs. « Je me suis toujours intéressée à la cause des femmes. J’ai beaucoup photographié les mouvements féministes, toutes les tentatives qui menaient à une libération des droits des femmes, partout dans le monde », confiait-elle en 2012. Cet engagement l’amènera à faire le portrait des grandes figures de son temps : Simone Veil, Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi… 

« Une photographie, c’est un fragment de temps qui ne reviendra pas »

Engagée par le magazine Life, elle s’essaye un temps au monde de la mode et publie chez Vanity Fair ou Vogue, puis devient membre de l’agence Vu en 1970 avant de rejoindre Magnum en 1983 fondé par son époux, Henri-Cartier Bresson, rencontré en 1966. Il deviendra un de ses sujets préférés, chaque photo de lui était comme un cadeau. L’oeil du siècle ne lui fera pas d’ombre. Elle avouait n’avoir jamais souffert de sa notoriété. Son œil à elle était lui-même.

Henri Cartier-Bresson, Paris, 1992 © Martine Franck / Magnum Photos
Henri Cartier-Bresson, Paris, 1992 © Martine Franck / Magnum Photos

L’écrivain Matthieu Ricard se souvient d’une force tranquille et rassurante qui « permettait à ses sujets de faire venir à la surface ce qui résidait au plus profond d’eux-mêmes » sans jamais être intrusive, toujours à bonne distance, observatrice et discrète. « Une qualité rare chez un photographe. »

« Je ne crois pas que vous puissiez être un bon photographe sans être curieux des autres »

Martine Franck

D’une savante et vive composition, Martine Franck construira ses images dans l’instantané. Royaume-Uni. 1977. Accompagné par les petits british de la cité minière de Killingworth, l’oeil glisse le long d’un toboggan sinueux semblant monter vers le ciel, Martine Franck nous parle d’enfance et d’insouciance. Pensons aussi en terme de composition à la spirale de la bibliothèque de Clamart (couverture de l’album) ou bien évidemment à ce jeu de lignes, de formes, d’ombres et de silhouettes de la piscine de Six-Fours-les-Plages pensée par l’architecte Alain Capeillère. « Une photographie, c’est un fragment de temps qui ne reviendra pas », disait Franck. Auprès des pêcheurs de Long Island, sur l’île irlandaise de Thoraigh et ses 130 âmes ou dans le regard des moines tibétain, elle est partie chercher ces fragments là où son intuition photographique la portrait.

L’album de RSF nous rappelle au souvenir de ses plus beaux clichés et nous redit au travers des témoignages de ceux qui l’ont côtoyé, combien Martine Franck avait cette beauté intérieure qui rayonnait dans le regard de ses sujets photographiés. « Je ne crois pas que vous puissiez être un bon photographe sans être curieux des autres », disait-elle. Sa sensibilité au monde sera son plus beau fragment. 

100 photos pour la liberté de la presse: Martine Franck, disponible au prix de 12,50€ sur le site de RSF.

Grand Palais, Paris, 1972. Exposition «Les peintres de l’imaginaire : symbolistes et surréalistes belges», tableau de Paul Delvaux © Martine Franck / Magnum Photos
Grand Palais, Paris, 1972. Exposition «Les peintres de l’imaginaire : symbolistes et surréalistes belges», tableau de Paul Delvaux © Martine Franck / Magnum Photos

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