La baie de San Francisco et ses forêts de séquoias, Nadezda Nikolova les a longtemps observées. De son expérience personnelle de l’environnement découle des visions abstraites qu’elle fige sur le papier, avant de s’enfermer dans sa chambre noire et de débuter un véritable processus chimique.
Basée à Oakland, en Californie, Nadezda Nikolova délaisse la photo numérique pour s’intéresser à l’histoire de la photographie. Sans appareil photo, elle capture l’intimité perdue des paysages qu’elle rencontre. Pour cela, elle utilise la technique du photogramme.
Dans sa chambre noire, l’artiste manipule des plaques de métal, préalablement imbibées de collodion humide, une solution de coton-poudre dissoute dans une préparation d’alcool et d’éther. Cette plaque est ensuite sensibilisée dans un bain de nitrate d’argent avant d’être travaillée par Nadezda Nikolova.
Ce procédé photographique datant de 1851 était originellement réalisé sur négatif papier, puis sur verre. Nadezda Nikolova a quant à elle opté pour des ferrotypes, des plaques métalliques noires. Procédé très artisanal n’ayant jamais été industrialisé, le collodion humide reste un loisir d’initié. Il faut premièrement se procurer les matériaux, bénéficier d’un labo équipé et surtout, suivre une formation, car la technique reste très dangereuse.
Comme la nature, les plaques métalliques sont en état de métamorphose permanente. Elles sèchent en moins de 3 minutes, devenant alors insensibles et impossibles à modifier. Chaque motif constitue une opération supplémentaire à comptabiliser dans le temps de séchage, la rapidité d’exécution est donc de rigueur.
Le temps, la lumière et le noir et blanc
À travers sa série Elemental Forms, encore en cours de production, Nadezda Nikolova essaie de raconter les histoires les plus complexes avec les matériaux les plus simples et essentiels possibles. Masques de papiers, pinceaux et calques sont convoqués pour générer des œuvres quasi oniriques, à mi-chemin entre le rêve et la réalité.
Comme un architecte qui esquisse ses plans, Nadezda Nikolova prépare ses compositions en amont. L’artiste laisse toutefois une place centrale au hasard, car les résultats diffèrent selon la réaction du dispositif à la température. Chaque motif est un « accident » et chaque pièce est unique, impossible à reproduire.
Nadezda Nikolova conjugue ses histoires, ses souvenirs et ses expériences sensibles à la grande tradition photographique. « Les images sont à la fois de très belles représentations de ce que veut évoquer l’artiste, et un bel hommage à l’histoire de la photographie à travers l’utilisation de ce matériel. », affirme Jehan de Bujadoux, directeur de la galerie Esther Woerdehoff.
Le résultat final, semblable à la peinture, soulève une interrogation sur le passage des saisons et l’éternel présent. Le processus lui-même fait appel à la mémoire, qui, comme la lumière sur la plaque métallique, laisse des traces aléatoires. Selon ses propres mots, Nadezda Nikolova « cherche à enregistrer des réponses intuitives qui parlent de l’expérience ressentie et ineffable d’être présent dans le paysage ».
« Elemental Forms », exposition présentée du 02 février 2023 jusqu’au 25 mars 2023. Galerie Esther Woerdehoff – 36 rue Falguière, 75015 Paris.