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Miles Aldridge, paradis pop et fantasmagorique

La rétrospective consacrée à Miles Aldridge à New York propose une réflexion guidée autour des liens entre religion, consumérisme et spectacle, au 21e siècle.

Originaire du nord de Londres, le photographe Miles Aldridge grandit au sein d’un cercle privilégié, parmi des figures anglaises des Swinging Sixties. Son père, Alan Aldridge, illustrateur, a fait ses débuts en créant des couvertures pour Penguin Books, avant de fonder INK, sa propre entreprise spécialisée dans le design. Installé au cœur du quartier de Soho, il travaille alors avec les Rolling Stones, les Beatles, The Who ou encore Elton John. « Toute mon enfance a été bercée par les images psychédéliques de mon père et le rock du Londres de l’époque, et son quotidien », raconte Miles Aldridge. « Avec ma sœur Saffron, nous allions assister en coulisses aux concerts d’Elton John, et c’était un spectacle absolument incroyable. »

Miles Aldridge

Mystique #1, 2018 © Miles Aldridge
Miles Aldridge
Maisie Williams, 2017 © Miles Aldridge

Alors qu’il a dix ans, ses parents divorcent et sa vie change du tout au tout. « La famille a implosé », se souvient-il. « J’ai essayé de recoller les morceaux, et naturellement ça n’a pas marché. » Sa mère sombre dans la dépression, leur famille se désintègre. Lui lutte, peine à s’adapter à cette nouvelle vie. Dans les années 1970, la musique punk lui fournit à ce moment le moyen d’évacuer toute sa frustration. Il forme ainsi, avec d’autres garçons de son âge, les X Men, un groupe de garage rock local.

À vingt ans, Miles Aldridge intègre une école d’art. Il quitte alors la musique pour étudier l’illustration à l’école Central St. Martins, à Londres. En en sortant, il réalise des couvertures de livres, dont certaines ont encore du succès, mais goûte peu la solitude qui caractérise ce métier. « Je voulais faire quelque chose qui ait plus d’ampleur, qui soit plus énergique, collaboratif, audacieux, sexy. J’ai hésité à devenir réalisateur ou photographe et pendant un temps, j’ai fait les deux. »

Une histoire d’esprit

Pendant quelque temps, il réalise encore des clips pour des groupes de musique, dont The Verve, The Charlatans ou Catherine Wheel, avant de venir à la photographie, qui lui permet enfin de rassembler toutes ses qualités. Miles Aldridge s’appuie sur son talent d’illustrateur pour faire des storyboard de ses images, des peintures en guise de prémices, qui lui servent aussi à déterminer sa future composition. « J’ai cette liberté : je suis à même de créer une image avec un crayon. L’appareil vient plus tard, et je n’en suis pas esclave. Je l’exploite pour prendre l’image que j’ai décidé de créer », explique-t-il.

Miles Aldridge
Untitled (after Cattelan) #4, 2016 © Miles Aldridge

Aldridge a toujours eu un faible pour les écrivains, les réalisateurs ou les peintres qui ont une vision affirmée. Citons Alfred Hitchcock ou Andy Warhol. Son approche de la photographie est quelque peu conceptuelle, tant il se voit comme un visionnaire qui rassemble une équipe de talents pour faire naître son idée. « L’art contemporain n’a plus rien à voir avec la représentation du 19e siècle, celle de l’artiste romantique, seul dans sa tour avec ses peintures à l’huile et une toile », fait remarquer Miles Aldridge. « De nos jours, l’artiste travaille avec un grand nombre de personnes qui viennent l’assister dans tout le processus. »

Une philosophie qu’il applique à ses travaux dans leur ensemble, qu’il s’agisse de portraits, de mode, d’édition ou de publicité. The New YorkerVogue Italia, Karl Lagerfeld et Yves Saint Laurent comptent ainsi parmi ses clients. Des commandes pour lesquelles il prend soin de ne pas laisser s’installer de barrière artificielle entre le professionnel et le personnel. « J’ai toujours trouvé que le travail d’un photographe était éminemment personnel, comme chez Helmut Newton, Richard Avedon ou Irving Penn. Ce que je suis en train de créer va se retrouver dans une galerie, un musée ou un livre, et je ne l’oublie jamais », ajoute-t-il.

Miles Aldridge
3-D, 2010 © Miles Aldridge
Miles Aldridge
Viola Davis, 2017 © Miles Aldridge

« J’aime l’idée d’avoir un mécène. Quand un magazine apporte son soutien à des œuvres, c’est un peu comme l’église catholique qui soutenait Michel-Ange, Léonard de Vinci ou le Caravage en leur faisant des commandes. Qu’il s’agisse de l’église ou de Vogue, c’est du mécénat. »

Portraits intemporels

Sur les 20 dernières années, Aldridge a créé une œuvre conséquente, ce qui lui a manifestement permis d’organiser l’exposition Virgin Mary. Supermarkets. Popcorn. Photographs 1999 to 2020, à voir chez Fotografiska New York, la nouvelle institution en ville dédiée à la photographie. Celle-ci rassemble 64 œuvres qui couvrent toute sa carrière et mettent en lumière sa signature: des tableaux cinématographiques. Composés aussi bien de drame que de glamour, ils sont empreints d’une touche de comédie. « L’exposition est une rétrospective et certains thèmes déploient un fil conducteur de mon travail sur les 20 dernières années. J’ai donc estimé que ce titre sous forme de liste tenait la route, dans le style d’Ed Ruscha. J’ai griffonné un inventaire de ce que reprenait le parcours, et ces trois éléments s’accordent bien », explique-t-il.

Miles Aldridge
Immaculée #3, 2007 © Miles Aldridge

Dans son ensemble, le jeu de l’interaction entre la religion, le consumérisme et le spectacle, est en soi une métaphore, celle du culte du capitalisme d’aujourd’hui, à l’aube du nouveau millénaire. Ses portraits de sommités telles que Marina Abramović, Gilbert et George, Sophie Turner, Michael Fassbender, ou encore David Lynch proposent un délicieux mélange de glamour, pouvoir, représentation et identité.

En élaborant soigneusement l’image bien avant de la réaliser, Miles Aldridge rend à la photographie sa capacité à créer des œuvres aussi monumentales que fantasmagorique. « Au départ, on a considéré que la photographie s’attachait non pas au moment mais à l’extension du temps, comme un tableau rend les choses éternelles », explique Miles Aldridge. « Aucune de ces photos n’a été prise sur l’instant et je pense que cela se ressent. Aucune ne donne une impression d’instantanéité. Elles sont trop stylisées, contrôlées, organisées. »

Miles Aldridge
Marina Abramović, 2010 © Miles Aldridge
Miles Aldridge
Donatella Versace, 2007 © Miles Aldridge

Ainsi travaille t-il exclusivement sur pellicule et se repaît-il de la tension qu’il ressent tant que les épreuves ne sont pas revenues du labo. « Le fait d’être certain de ce qu’on a fait détruit l’intensité de l’œuvre », affirme le photographe. « Prendre une photo, c’est une chose. La regarder en est une autre. Quand on travaille en numérique, on passe son temps à vérifier ce qu’on a fait, et ce va-et-vient dilue tout. »

En artiste discipliné, Miles Aldridge s’attache ainsi à préserver l’intégrité et la précision de son travail, à faire en sorte que son degré d’exigence absolue se retrouve à chaque étape de sa création. Lorsqu’il s’avance vers l’appareil, l’image se révèle telle qu’il l’a envisagée : un tableau intemporel de la vie moderne, qui transcende l’instant et le sublime.

Par Miss Rosen

Auteure spécialisée en art, photographie et culture, Miss Rosen vit à New York. Ses travaux sont publiés dans des livres, des magazines et des sites web, dont Time, Vogue, Artsy, Aperture, Dazed et Vice.

« Miles Aldridge: Virgin Mary. Supermarkets. Popcorn. Photographs 1999 to 2020 », jusqu’en octobre 2021, Fotografsika New York, 281 Park Ave S, New York, NY 10010, TSA. 

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