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Mirages à l’horizon

Trois ans après sa prise de fonction, le directeur Quentin Bajac imprime sa marque avec la création d’un festival occupant l’intégralité du Jeu de Paume. Confié à Béatrice Gross, Fata Morgana réunit 150 œuvres de 26 artistes pluridisciplinaires. De l’image au sens large.
Fata Morgana
Hochsommerliche Aerosole, 2020 © Jochen Lempert, avec l’aimable autorisation de l’artiste, de BQ, Berlin et de ProjecteSD, Barcelone / ADAGP, Paris, 2022

Il y a encore quelques semaines, le Jeu de Paume présentait la collection Thomas Walther et les « Chefs-d’œuvre photographiques du MoMA », des vintages de la période de l’entre-deux-guerres. Et maintenant : un festival réunissant VR, hologrammes, installations, vidéos, sculptures, œuvres in situ et bien sûr, des tirages photographiques. Le contraste entre les deux expositions dit combien le mot image recouvre de formes. Et rappelle que le Jeu de Paume n’est pas seulement un lieu dédié à la photographie. 

« Fata Morgana » est un mot italien décrivant un phénomène optique rare bien connu des marins que l’on peut traduire approximativement par « mirage ». Ainsi le festival est une invitation à questionner le visible et à s’interroger sur ce que l’on regarde et ce que l’on voit. Comme le résume Béatrice Gross, la commissaire d’exposition, « Fata Morgana » se propose de poser « une réflexion critique et poétique sur les modalités d’apparition du visible ». Illusions d’optiques, leurres, trompes l’œil… les œuvres exposées nous incitent autant à une gymnastique du corps que de l’esprit. Car pour les appréhender, il faut souvent tourner autour, avancer ou reculer. Autrement dit, chercher le bon point de vue pour en prendre la mesure et en comprendre le sens. 

Fata Morgana
Hologramme (Broussailles), 2021 © Daniel Steegmann Mangrané, avec l’aimable autorisation de l’artiste et d’Esther Schipper, Berlin © Photo de Kristien Daem
Fata Morgana
Maquette préparatoire à Slab Stela 1 (série « Nūbēs »), (détail), 2021 © Raphaël Lecoquierre, avec l’aimable autorisation de l’artiste

La visite se transforme souvent en expérience où le spectateur prend sa part pour « créer l’œuvre », par exemple dans le cas de Systemic Grid 126 (Window) de Daniel Steegmann Mangrané, œuvre placée à l’entrée de la première salle. Cette sorte de grand verre transparent constitué de différentes textures forme comme un cadre dans l’espace, offrant une vision floue de l’environnement, tel un mirage. Ailleurs, il faut faire preuve d’imagination, car ce qui apparaît comme une colonne ou un aplat de stuc (faux marbre) est en fait le résultat d’un prélèvement de pigments opéré par Raphaël Lecoquierre dans des photos de famille qu’il a trouvées sur une plage de la mer du Nord. Les motifs abstraits représentent en quelque sorte le souvenir de souvenirs, ceux des photos de famille.

Plus traditionnelles, parce que prenant la forme de tirages collés aux murs, sont les images poétiques en noir et blanc de Jochen Lempert (à voir aussi en mai au Centre Pompidou à la Galerie de Photographies). Cependant les images surprennent car le photographe déjoue les règles classiques du cadrage, proposant une vision morcelée du réel. L’Allemand opère en effet des prélèvements par petites touches – des pigeons sur un trottoir, une fleur de pavot et son ombre, une mouche posée sur une main, etc. –, élaborant un inventaire de formes et de matières. Ailleurs, les épreuves de Illanit Illouz (cf article dans Blind « Œuvres vivantes à Arles 2021 ») étonnent par leur relief et leur scintillement.

Fata Morgana
Monogamie toxique, 2020:Collection Van Praet d’Amerloo © Diane Severin Nguyen
Fata Morgana
Sans titre (série « Perth Amboy »), 2001 © Rachel Harrison, avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Greene Naftali, New York
Fata Morgana
Sans titre (Augures #2), 2022 © Marina Gadonneix, avec le soutien du Jeu de Paume et l’aimable contribution de ses Bienfaiteurs / avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Galerie Christophe Gaillard, Paris

Pour sa série « Streams», Julien Bismuth manipule, quant à lui, le contenu de ses images à l’aide d’outils numériques, changeant les couleurs des pixels en insérant un texte dans leur code numérique. Une classique vue de fleuve se transforme ainsi en un paysage inquiétant parce que fluorescent. À l’inverse, les natures mortes de Diane Severin NGuyen naissent de prises de vue directes en studio, mais sont tout aussi étranges, notamment grâce à l’utilisation d’éclairages atypiques comme des LED.

Une fois n’est pas coutume, la visite se poursuit en extérieur. Signée Batia Suter, l’installation in situ présente des images de fruits trouvées dans un manuel ancien de vulgarisation scientifique qu’elle s’est réappropriées. Intégrées en hauteur dans la façade du bâtiment, elles sont à contempler depuis le jardin des Tuileries. Au Jeu de Paume ce printemps, il faut à la fois avoir les sens en alerte et se laisser porter. Ce n’est pas tous les jours qu’on voit des mirages…

Fata Morgana, du 22 mars au 22 mai, Jeu de Paume.

Programme de conférences, projections et performances le week-end de clôture, du 20 au 22 mai.

Catalogue, version française et anglaise, coédition Jeu de Paume/Manuella éditions, 292 pages, 39 €.

Podcast de Clara Schulmann : Fata Morgana, les coulisses d’une exposition au Jeu de Paume à retrouver sur toutes les plateformes. 

Fata Morgana
I’m not sure why but I’d rather show you shots without people in them for now © Julien Bismuth, avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Simone Subal Gallery, New York et de la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, Paris

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