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« Mystery Street », de Vasantha Yogananthan : la Louisiane à hauteur d’enfants

À la Fondation Henri Cartier-Bresson à Paris, le photographe Vasantha Yogananthan présente « Mystery Street », fruit d’une résidence de trois mois en Louisiane. Jeux d’enfants, chaleur, désoeuvrement : en saisissant l’instant, ses images racontent le mouvement propre à un âge où tout change.

C’est une exposition à hauteur d’enfants, un éloge du mouvement, de l’instant, de ce que le photographe Vasantha Yogananthan appelle « l’impermanence ». Jusqu’au 3 septembre à la Fondation Henri Cartier-Bresson, à Paris, l’exposition « Mystery Street » retrace les pérégrinations de l’artiste à La Nouvelle-Orléans, où il a posé ses valises pendant 3 mois dans le cadre d’un programme de soutien de la Fondation d’entreprise Hermès.

Le résultat est un travail épuré, une attention au détail, à la couleur, aux expressions. Un reflet dans une flaque d’eau sur le bitume. Une feuille d’arbre qu’on tente de glisser dans les trous d’un grillage. Une main passée dans les cheveux pour se recoiffer, ou une autre plus potelée qui étreint un frère ou un partenaire. Un travail sur « ici et maintenant » ; cette émotion qui étreint le visage une seconde, ce voile passager qui, furtivement, assombrit le regard.  

Ce n’est pas la première fois que ce photographe français s’intéresse à cet âge pré-adolescent où tout change si vite. Il y a 10 ans, une de ses premières séries, « Piémanson », racontait déjà depuis une plage en Camargue ces moments transitoires où l’instant, à peine saisi, est déjà passé. À rebours de cette fugacité, Vasantha Yogananthan, lui, prend le temps. Celui de la réalisation : il se rend souvent à plusieurs reprises sur un même lieu, et plusieurs années séparent ses différents projets. Celui de l’argentique : ce procédé technique et esthétique implique une lenteur, un dévoilement à retardement. Celui de l’immersion, enfin : pour cerner ses sujets et s’en faire accepter, il faut se fondre dans le décor, ne jamais brusquer. Se faire oublier.  

© Vasantha Yogananthan
© Vasantha Yogananthan

Pourquoi la Louisiane alors ? Car là-bas, « l’enfant devient une métaphore vivante du corps de la ville », écrivent joliment Agnès Sire et Clément Chéroux, commissaires d’exposition. Sur ce territoire encore traumatisé par l’ouragan Katrina en 2005, les notions d’éphémère et de transitoire n’ont pas le même sens. Surtout, la ville est aujourd’hui particulièrement menacée par la montée des eaux liée au réchauffement climatique : on s’y sait plus qu’ailleurs instable, fragilisé, « impermanent ». Dans cet environnement à moitié détruit, et qui risque de l’être plus encore, une nouvelle génération a grandi : leurs jeux d’enfants y sont à la fois plus graves et plus triomphants que jamais. 

Vasantha Yogananthan n’avait pourtant aucune attente : il n’est pas de ceux qui tentent de faire coller leurs photos à une vision préconçue du réel. Chez lui, l’appareil sert à apprendre, pas à affirmer. Gagner la confiance des enfants impliquait de baisser la garde, d’accepter d’être lui aussi instable, incertain, en constante expérimentation. Cette relation, il lui rend hommage : les noms de ses jeunes partenaires d’aventures trônent à l’entrée de l’exposition – seules  indications disponibles, puisqu’aucune légende n’accompagne les clichés.

© Vasantha Yogananthan
© Vasantha Yogananthan

C’est sans doute dans sa discrétion que réside la force de ce travail d’une grande humilité. Vasantha Yogananthan ne verse pas dans le spectaculaire : les amateurs de pose, mise en scène et autres vues impressionnantes peuvent passer leur chemin. Ses photos brillent d’un autre éclat, plus mâtiné, plus délicat. Ce qui n’empêche pas des couleurs omniprésentes : motifs vifs qui tournent avec un manège, orange criard d’une paire de jeans, jaune d’une palissade fraîchement repeinte, d’un cerceau de hula-hoop, d’un parterre de fleurs contre une voiture dont les poignées en métal rutilent.

 « Mystery street » raconte une forme d’exceptionnel dans le quotidien, l’extraordinaire dans la banalité, dans ces jeux chaque fois répétés et toujours réinventés. Le travail de Vasantha Yogananthan n’idéalise jamais rien : visages parfois coupés par des plans trop serrés, scènes floues, contre-plongées peu flatteuses, sueur qui ruisselle, grimaces et regards perdus… Mais de ces scènes, il se dégage aussi la beauté d’un âge où on se construit dans le collectif et à travers l’autre, en miroir, où on fait l’expérience déterminante de l’altérité. Dans et malgré le désoeuvrement. 

« Mystery Street », de Vasantha Yogananthan, à la Fondation Henri Cartier-Bresson, jusqu’au 3 septembre.

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