« À l’heure où Notre-Dame de Paris s’apprête à renaître de ses cendres, il fallait […] que la MPP (Médiathèque du Patrimoine et de la photographie, ndlr) puisse montrer au moins en partie la richesse des collections qu’elle conserve au nom de cette administration des Monuments historiques qui veille sur la cathédrale depuis près de 200 ans », explique Gilles Desiré dit Gosset, directeur de la MPP, dans l’introduction de l’ouvrage. Avec 7 500 négatifs sur plaques de verre et quelque 10 000 tirages, cette institution conserve l’essentiel de l’œuvre de Médéric Mieusement, né en 1840 et mort en 1905. Ce livre est aussi et surtout né de la volonté de Dominique Gaessler, fondateur de Trans Photographic Press qui fait partie des nombreux éditeurs français indépendants de livres de photographie. Sa maison d’édition compte parmi les 29 répartis sur tout le territoire réunis au sein de France PhotoBook, une association soutenue par le ministère de la Culture, qui vise « à promouvoir l’édition de création photographique en France et à l’étranger ».
Dominique Gaessler concocte des livres « aux petits oignons » s’attardant sur les détails qui font la différence et vous saisissent instantanément lorsque vous prenez le livre en main : format, papier, typographie, mise en page, tout fait l’objet d’un choix minutieux et mûrement réfléchi. Objectif : être au service de l’auteur pour traduire au mieux ses intentions et donner des clés de lecture de son travail. Notre-Dame, la cathédrale de Viollet-le-Duc par Médéric Mieusement n’échappe pas à la règle. Ce livre tient une place à part dans son catalogue car l’éditeur consacre habituellement l’essentiel de sa production à des photographes contemporains vivants. A l’instar de A kind of color avec des inédits en couleur du membre de Magnum Guy Le Querrec ou de l’émouvant 23 rue de la Commune de Paris, de Cyrille Derouineau, sur la maison de son enfance, parus récemment.
Un photographe oublié
Cet ouvrage consacré à Notre-Dame met sur le devant de la scène un auteur oublié, spécialisé dans l’architecture, plus particulièrement les édifices religieux qu’il photographia dans le cadre de commandes pour différents services de l’État. Médéric Mieusement vendait aussi ses photographies à des particuliers et à des éditeurs d’art.
De toutes les cathédrales qu’il photographia, Notre-Dame de Paris est le monument le mieux représenté dans son corpus avec près d’une centaine de vues. Il la photographie à partir des années 1870 dans un contexte particulier, c’est-à-dire dans les années qui suivirent sa restauration conduite par les architectes Lassus et Viollet-le-Duc, auteur de la fameuse flèche qui a péri lors de l’incendie de 2019. Celle-ci a été reconstruite à l’identique (et sera inaugurée d’ici 2024), notamment grâce aux images de Mieusement qui ont été d’une aide précieuse parmi d’autres. Ce fait est une parfaite illustration de la valeur documentaire de la photographie. Mais il faut aussi souligner le talent et le savoir-faire de ce photographe et la dimension esthétique de son travail.
Dans le texte de l’ouvrage, Isabelle Gui, responsable de la collection de tirages anciens à la MPP depuis 2011, raconte les partis pris du photographe : « Pour ses prises de vues, du moins certaines d’entre elles, Mieusement choisit l’hiver ou le début du printemps, quand les arbres situés à proximité de la cathédrale sont dépourvus de feuillage, ce qui rend visibles certaines parties de l’édifice. Les vues furent faites le matin ou le soir, en fonction du secteur de la cathédrale photographié, à une heure où il n’y a que peu d’ombres portées. » Isabelle Gui précise aussi que Mieusement cherchait pour chaque prise de vue le meilleur emplacement, installant sa chambre photographique de l’autre côté de la Seine pour obtenir des vues d’ensemble, sollicitant des particuliers pour photographier depuis la fenêtre de leur appartement afin d’être à la bonne hauteur. Autant de précisions qui montrent sa détermination. L’ouvrage démontre qu’il photographia Notre-Dame aussi bien de loin que de près, ici avec un passant pour souligner la grandeur de l’édifice, là à l’intérieur, tournant le plus souvent son objectif sur les récentes restaurations de Lassus et Viollet-le-Duc.
Dans cet ensemble, une galerie de portraits se distingue, celles des chimères captées individuellement, comme il est impossible de les voir en vrai car elles sont inaccessibles : le stryge et l’oiseau voilé, le dragon aux bras repliés, l’aigle tenant un agneau entre ses serres, l’homme à tête de lion, le bouc démoniaque, etc. Ces portraits constituent un des points d’orgue de l’ouvrage grâce à des pages qui se déplient. Une astuce d’éditeur pour les mettre en valeur tout en nous incitant à les scruter un par un. Et ainsi doubler ce travail purement documentaire d’un fort pouvoir imaginaire.
Notre-Dame, la cathédrale de Viollet-le-Duc par Médéric Mieusement, 68,00 €
Cyrille Derouineau, 23, rue de la Commune de Paris. Une maison de famille, 38,00 €
Guy Le Querrec, Kind of color, 38,00 €