Paraît la première monographie d’Omar Victor Diop, publiée par 5 Continents Éditions et la galerie Magnin-A, qui le représente depuis 2013. Tiré à 2000 exemplaires, c’est un livre tout en sagesse et en subtilité, à l’image de ce jeune Sénégalais – il est né en 1980, à Dakar -, devenu en très peu d’années l’un des représentants d’une génération émancipée des clichés et ouverte au dialogue graphique, y compris la retouche numérique. S’il se déclare l’héritier de portraitistes africains disparus (Mama Casset, Seydou Keita, Malick Sidibé), il cite aussi Jean-Paul Goude, qu’il admire. Certes, il se revendique autodidacte, mais de compagnie, ainsi qu’il le confie à l’un des auteurs, Marvin Adoul : « En vérité, on ne se forme jamais sans les autres ».
Il aime à évoquer d’autres influences, comme l’écrivaine Maryse Condé et sa famille de personnages dans Ségou, « dont les terribles destins annonçaient la fin des tourmentes et l’affirmation d’une Afrique libre ». Ou les peintures sous verre du Sénégal, à propos de sa dernière série, « Allegoria »(2021), à laquelle il a « voulu donner une dignité religieuse, un recueillement parfois apaisé, tel Saint François d’Assise veillant sur les espèces, parfois joueur, comme Orphée enchantant la nature ».
Autant dire la richesse, à travers ses sources d’inspiration, qu’Omar Victor Diop impulse dans son travail, transformant ses emprunts culturels en véritable trésor personnel. Car son style, fusion de fantaisie et de récits, est désormais reconnaissable, et inimitable, aussi bien par ses franches couleurs que par cette manière, si naturelle, d’emmêler dans le cadre l’art, le design et une certaine idée de la mode. Omar Victor Diop ne se force pas à être moderne ou pop, si l’on préfère, il l’est, et cette contemporanéité est un atout si fort qu’elle attire le public comme les collectionneurs.
Cette force d’attraction n’est pas un miroir. Les thèmes abordés reflètent les préoccupations de ce Dakarois épris d’un monde où le vivant se doit d’être respecté. Il se met en scène, c’est vrai, c’est lui là et là, et pourtant ce n’est pas lui. Nous sommes loin de l’autoportrait classique après une crise de narcissisme, nous sommes dans le réel, au cœur d’histoires vraies : luttes du peuple noir, lutte contre l’oubli, lutte contre les stéréotypes. Tous ces rôles endossés, de Dom Nicolau à Jean-Baptiste Belley, de Dutty Boukman à August Sabac el Cher, sont bien plus que des rôles de composition. Ils sont une prise de position. Une manière à la fois exigeante et volontaire, de montrer comment le médium, sous des apparences symboliques, peut provoquer le regard et inciter à la réflexion. Il ne s’agit pas de réclamer quoi que ce soit, ou de se plaindre, mais d’affirmer la « vitalité et le rayonnement des Africains ». C’est ce qui rend cet artiste très attachant. Il lui faut grâce et pudeur pour tenir ce pari d’un homme éveillé et émerveillé, qui saute sans fracas d’un siècle à un autre, et d’un continent à l’autre. Là est possiblement la dernière qualité d’Omar Victor Diop, cette aisance – dont on imagine volontiers la préparation méticuleuse qu’elle a nécessitée en coulisses – à se jouer des offenses du temps.
Par Brigitte Ollier
Brigitte Ollier est une journaliste basée à Paris. Elle a travaillé durant plus de 30 ans au journal Libération, où elle a créé la rubrique « Photographie », et elle a écrit plusieurs livres sur quelques photographes mémorables.
Omar Victor Diop, coédité par 5 Continents Éditions et la galerie Magnin-A, 96 pp., 39 €. Textes de Renée Mussai, Imani Perry et Marvin Adoul.
Les éditions de l’œil ont publié, en 2014, un Carnet de la création sur Omar Victor Diop.