Dès la première page, le décor est planté : coloré par un film plastique rouge, le torse est dénudé, la moustache soignée, le corps posé, lascif. Un képi de policier vissé sur le crâne, l’homme a les yeux dans l’ombre, insondable. Zoomés jusqu’à frôler l’abstraction, les portraits de Shadow Cast se pixellisent pour convoquer « l’inconnu, et le danger qui en ressort », déclare Pacifico Silano.
![© Pacifico Silano 2024, courtesy Loose Joints](https://www.blind-magazine.com/wp-content/uploads/2025/02/pacifico-silano-shadow-cast-press-image03-819x1024.jpg)
Depuis plus de dix ans, ce dernier collectionne les images d’archives de revues érotiques gays vintage. Après la sortie de son précédent livre, I Wish I Never Saw the Sunshine, « une exploration de la perte et du désir durant la crise du SIDA », le photographe a souhaité poursuivre ses recherches de manière plus critique, « en proposant une réflexion sur notre monde qui est complexe, difficile et pétri de contradictions ».
Plus sombre, ce nouvel opus étale les visages en pleine page, rattrapant ainsi l’échelle humaine. Les noirs, enrichis par l’impression risographique, font disparaître les traits, contrastant, en parallèle, avec le blanc des muscles, tout en laissant une trace sur les doigts des lecteurs, « comme pour les impliquer dans cet acte de regarder », ajoute le photographe.
![© Pacifico Silano 2024, courtesy Loose Joints](https://www.blind-magazine.com/wp-content/uploads/2025/02/pacifico-silano-shadow-cast-press-image04-877x1024.jpg)
Né à la suite d’une installation intitulée « Psychosexual Thriller » – « une grille de 12 portraits d’un archétype masculin évoquant à la fois désir et danger », précise-t-il – Shadow Cast se joue des limites de l’agrandissement, alternant éléments reconnaissables et réseaux de points, en référence au « Most Wanted Men » de Warhol. Une œuvre dont le titre questionne, lui aussi, la connexion entre la peur et l’envie.
Disséquer la fétichisation
Car, pour Pacifico Silano, « reléguer ces portraits dans l’ombre est synonyme de métaphores ». Si la lecture la plus évidente semble être celle de l’angoisse née de la propagation du VIH au sein de la communauté gay, « puisque beaucoup de ces modèles apparaissaient dans ces publications juste avant leur mort », rappelle l’artiste, d’autres interprétations sont les bienvenues. « On peut aussi voir ce travail comme une illustration des relations sexuelles, et de la violence potentielle qui existe à travers l’anonymat », affirme-t-il. Un anonymat facilité par la popularité des applications de rencontres, permettant l’affirmation des libertés, comme des dérives.
Dans un noir et blanc presque constant – seuls quelques corps enlacés sont présentés colorés, comme une respiration hors d’une opacité oppressante – les portraits de Shadow Cast convoquent des fantasmes sans âge, visions d’une masculinité archétypales dont on peine à s’éloigner. Cowboys, ouvriers et soldats s’y déploient, leurs traits rendus sculpturaux par les clairs-obscurs de l’impression et intemporels par les pixels des zooms. Irréels, dévorant les pages, ils deviennent ainsi le réceptacle de nos imaginaires. « À travers eux, je dissèque la fétichisation de l’identité américaine que certains hommes gays subvertissent, mais qu’ils peuvent renforcer à leur insu », conclut le photographe.
Shadow Cast de Pacifico Silano est disponible chez Loose Joints Publishing au prix de 120€.