Lutte mexicaine à mi-chemin entre le combat et l’art théâtral, la lucha libre est un dérivé du catch. Si cette discipline est quasi méconnue en France, elle fait partie intégrante de la culture populaire du Mexique : un pays dont Théo Saffroy est tombé amoureux. Photographe autodidacte, c’est lors d’un roadtrip en moto en Amérique du Sud qu’il décide de faire de la photo son métier. Après un confinement en France, quelques commandes pour L’Équipe et plusieurs publications dans la presse, il retourne au Mexique dans l’idée d’y réaliser une série documentaire. Armé de son Leica 28mm et de son plus bel accent espagnol il s’immerge dans l’univers de la Lucha Libre.
Métamorphose
À la frontière entre le documentaire et la fiction, Théo Saffroy cherche à raconter les histoires des gens : « Je ne fais pas de photos de sport, je fais des photos qui parlent des hommes et de la société à travers le sport ». Dans sa série « Les Reines du Ring », il donne à voir l’univers cosmique des luchadoras, mais surtout, le quotidien de ces lutteuses. « Le travail était de les rencontrer et de comprendre qui étaient les femmes derrière le masque. », explique Théo Saffroy. « En parlant avec elles, je me suis rendue compte qu’elles avaient toutes un passé assez difficile : agressions sexuelles, précarité et pauvreté. La Lucha libre est une manière pour elles de s’émanciper et de devenir une autre personne. »
La plupart des filles sont mères de famille et exercent une autre activité en parallèle, elles incarnent une seconde identité le temps d’une soirée. Les luchadoras font d’ailleurs de la maternité une force et de la lucha libre un instrument d’émancipation sociale. Renversant tous les stigmates, elles assument et revendiquent leur féminité dans un milieu très misogyne. Elles arborent des costumes en lycras multicolores, des paillettes, des faux-cils et esthétisent leurs masques, presque comme des super héroïnes. « Ce sont des superstars au Mexique ! »
Ces femmes sont aussi un symbole de la réappropriation de la violence comme riposte dans un pays comme le Mexique. La situation des femmes y est en effet dramatique, avec dix féminicides par jour – soit trois fois la moyenne européenne. Le masque devient alors un objet de transformation qui participe à la création du personnage de la lutteuse. Théo Saffroy le reconnaît, la transformation est complète : « Quand elles mettent le masque, leur voix et leur comportement changent. Cette série aurait pu s’appeler “métamorphose”.»
Lutte théâtrale et lutte sociale
« Esto es Lucha » crie la foule dans l’arène. Dans cet endroit si particulier, les faisceaux lumineux et colorés se mêlent au vacarme des spectateurs euphoriques. L’entrée des lutteuses signe le début de la fête. Surgissant d’une estrade enfumée, elles font leur entrée à la manière des gladiateurs romains. Inspiré par Harry Gruyaert, notamment au niveau de son travail de la couleur, Théo Saffroy use du grand angle et du flash pour photographier cette discipline spectaculaire et extrêmement visuelle. Ses compositions scénographiées rendent compte de l’ambiance intense et du caractère mystique de la Lucha Libre : chaque combat est un vrai spectacle théâtral, une grand-messe qui réunit les familles, des grands-parents aux petits-enfants.
Sur le ring comme dans les gradins, la Lucha Libre rassemble plusieurs générations de femmes qui se battent. Plus qu’une lutte sportive, la Lucha Libre est une lutte symbolique contre le machisme au Mexique. Les luchadoras Marcela et Princesa Sugehit peuvent en témoigner. Âgées respectivement de 40 et 44 ans, ce sont les baronnes de la génération d’aujourd’hui. Elles ont connu les débuts de ce sport plutôt masculin, et, de l’entraînement jusqu’au ring, ont dû se battre pour y obtenir une place. Depuis quelques années, notamment grâce aux réseaux sociaux qui représentent un territoire de revendications assez important, les choses tendent à changer et les arènes autrefois réservées aux hommes se voient investies par la jeune génération. Néanmoins, comme Théo Saffroy le souligne : « ce sport reste encore principalement masculin : dans une soirée, il y a cinq combats. Un seul est féminin, et parfois il n’y en a pas. »
La série de Théo Saffroy est à retrouver sur le pont Saint-Ange dans le cadre des Rencontres Photographiques du 10ème, du 28 septembre au 28 octobre 2023, et au Parc de la Gare, avenue de la République, à Beauvais sans le cadre des Photaumnales, du 16 septembre 2023 au 31 décembre 2023.
Vous pourrez retrouver l’intégralité du travail du photographe sur son site Internet et sur son compte Instagram.