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Par monts et par vaux

Réalisant différentes marches en autonomie sur plusieurs jours chaque année, en France comme ailleurs, Samuel Hoppe en tire une série photographique dans laquelle il questionne notre rapport à la nature et à la montagne, ainsi que l’usage que l’on en fait.

« L’Homme a colonisé la montagne. Et je suis là pour m’en éloigner [de cette colonisation] », raconte le photographe Samuel Hoppe. Réalisées entre 2019 et 2023, ses images représentent plusieurs chaînes montagneuses distinctes : les Alpes françaises (essentiellement la partie sud), les Hautes-Pyrénées (à la frontière espagnole) et le Jotunheimen, massif du sud de la Norvège (point culminant de la Scandinavie). Selon Eric Bouttier, rédacteur du texte d’introduction de l’exposition « Montagne », présentée par l’agence 360 à Paris, Samuel Hoppe propose une  « pluralité d’approches » qui viennent « questionner, de façon plus générique, la montagne en tant qu’entité paysagère, à la fois territoire concret aux enjeux économiques et écologiques, et objet de représentations culturelles : la façon dont on la perçoit, et la façon dont on y vit ».

Allant par monts et par vaux, Samuel Hoppe réalise, plusieurs fois l’an, des marches en solitaire et en totale autonomie, allant de 3 à 15 jours. Âgé de 51 ans, ce photographe français aime « le silence, les endroits peu peuplés, les paysages minéraux qu’il traverse en observateur humble et discret, en laissant le moins de traces visibles de son passage », raconte Eric Bouttier. Selon lui, le photographe cherche à être le moins perceptible possible, à « s’effacer du monde ». Pour cela, il lui faut rester intensément concentré pour remédier aux menaces de la montagne ; pour rester à l’écoute de son corps, aussi, éprouvé par les lieux.

Col du Clot des Cavales, Ecrins 2 © Samuel Hoppe
Pastoralisme, Pyrénées © Samuel Hoppe
Vanoise © Samuel Hoppe

Par-delà les sommets

« La montagne, en tant que sujet à représenter, pose le défi du cadre et de la profondeur : comment découper dans une telle masse ? Qu’y a-t-il à travers cette matière si pleine d’infimes détails, et qui pourtant fait écran ? Qu’y a-t-il dans son prolongement ? »

Eric Bouttier

La pratique de la photographie de Samuel Hoppe est intrinsèquement liée à son expérience de la marche. Réalisées au moyen format argentique, les images de la série Montagne sont exclusivement prises à plus de 1 600 mètres d’altitude. C’est là, au cœur des hauteurs et aux confins des territoires français et norvégiens – principalement – que l’artiste vient puiser son inspiration. « La montagne, en tant que sujet à représenter, pose le défi du cadre et de la profondeur : comment découper dans une telle masse ? Qu’y a-t-il à travers cette matière si pleine d’infimes détails, et qui pourtant fait écran ? Qu’y a-t-il dans son prolongement ? », questionne Eric Bouttier.

Emparis © Samuel Hoppe

Des questions auxquelles Samuel Hoppe répond volontiers lors d’une interview avec Blind réalisée dans les locaux de l’agence d’urbanisme 360, où sont exposés les clichés de l’exposition « Montagne ». « Le noir et le blanc souligne la minéralité des lieux », explique-t-il. Il « assouplit aussi l’austérité des lieux ». De même, « le choix du cadrage vertical est instructif ». Pour le photographe, le format concentre le regard, l’empêche de s’égarer, de contourner l’objet de la photographie pour aller se perdre dans le lointain. L’ensemble donne un résultat massif, avec peu de repères.

Et pourtant : derrière cette apparente immobilité, le travail de Samuel Hoppe montre les mouvements qui traversent la montagne. Avec le cycle du gel et du dégel, « le mouvement de la roche et de l’érosion », la montagne n’est jamais totalement statique. Loin du mouvement rapide de l’eau, ou de celui du vent, le photographe semble curieux de comprendre les mécanismes derrière les changements que connaît la montagne. D’une année à l’autre, un paysage de montagne n’est jamais totalement identique.

Comme pour pallier au silence qu’il s’impose lors de ses randonnées en autonomie et qui peut durer plusieurs jours, Samuel Hoppe parle. Longtemps. Il raconte la montagne. Il raconte son respect pour elle, en laissant le moins de traces possible de son passage – en dehors de la mémoire qu’il en garde. Il raconte les animaux qui habitent les lieux et qu’il effraie parfois, pour son plus grand malheur. Il raconte les hommes, ceux présents là-haut, et leur usage de la montagne.

Hameau de Fréjus, Piste rouge © Samuel Hoppe
Funiculaires Les 2 Alpes © Samuel Hoppe
Col de la Cucumelle © Samuel Hoppe

Des Hommes et des Monts

Car les changements ne sont pas tous naturels. Ils ne sont pas tous liés au temps. Pour une part, ils viennent de l’Homme, et de l’usage que nous faisons de la montagne. Les transformations que nous amenons, par le tourisme ou l’élevage notamment, intéressent tout particulièrement Samuel Hoppe, qui souhaite questionner notre rapport à la nature et à la montagne.

« Les installations d’hiver servent sur cette période de l’année. Puis vient la saison basse :  l’affluence baisse, presque réduite à zéro. Pourtant, les installations restent », commente Samuel Hoppe devant cette photographie d’une terrasse de bar en altitude. « Les installations ne sont même plus adaptées : la marche immense, prévue pour pallier la couche de neige, n’a plus lieu d’être. Pour monter sur cette terrasse en été, il faut ainsi faire un écart peu naturel. »

Ferme d’estive. Enclos. Remontés mécaniques. Canon à neige. Ponton en bois. Filets de sécurité le long de pistes de ski. Le tout empaqueté dans des matelas orange fluorescents. Autant d’éléments à l’usage saisonnier qui restent sur place toute l’année. Mais à quoi servent-ils lorsque l’Homme n’est plus là pour s’en servir ? Rien. Rien, si ce n’est modifier le territoire des animaux qui vivent sur place, selon Samuel Hoppe.

« Avons-nous réellement besoin de cette nouvelle remontée mécanique pour accéder à l’autre côté de la montagne, aujourd’hui encore sauvage ? », questionne l’artiste. Pour lui, l’usage des hauteurs doit reposer sur un équilibre entre nos besoins réels et ce que la montagne est capable d’endurer. De quoi questionner le rapport que nous avons avec elle et la nature.

Jotunheimen © Samuel Hoppe

L’exposition « Montagne » est présentée par l’agence 360 au 44 rue Gassendi, Paris jusqu’au 29 février 2024. Le livre NIVAL est disponible aux éditions Rue du Bouquet depuis octobre 2023. 48 €.

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