Peuple millénaire et traditionnellement nomade, les Peuls représentent 35 millions de personnes, réparties dans une quinzaine de pays d’Afrique, majoritairement au niveau de la bande sahélienne.
Pascal Maitre, photographe du temps long, spécialiste du continent africain – il commence sa carrière de photojournaliste en 1979 chez Jeune Afrique – côtoie ces populations depuis de nombreuses années. Lauréat pour ce projet de l’édition 2020 du Prix de Photographie Marc Ladreit de Lacharrière, en partenariat avec l’Académie des beaux-arts*, il a passé deux ans à rencontrer les Peuls du Sahel, entre Mali, Niger, Burkina Faso et Bénin. Il expose à Paris, au Pavillon Comtesse de Caen (6e), une quarantaine de photographies de ce projet.
Un travail rendu possible grâce aux 30 000 euros de dotation et au financement de l’exposition. « Ce prix gagne à être connu. Dans certains pays comme au Niger, j’étais obligé d’avoir une escorte. Ça me coûtait 650 euros par jour… Il faut donc des financements sérieux pour faire ce genre de travail », rappelle-t-il.
Avec trois thématiques : les fêtes, la vie quotidienne et les conséquences des tensions entre communautés, ces photos offrent un témoignage profond sur ces hommes et ces femmes se trouvant face aux « turbulences terribles » qui ébranlent la région du Sahel.
Population stigmatisée
« “Tuez les Peuls, tuez les Peuls, tuez les Peuls”… Au Burkina Faso, des milliers de messages comme celui-ci ont été envoyés sur WhatsApp. La situation est très sérieuse », témoigne le photojournaliste.
Pourquoi une telle tension ? Les Peuls voient progressivement leur mode de vie bouleversé par la croissance démographique et le réchauffement climatique. Historiquement musulmanes, ces populations ont aussi répondu, pour une partie, aux sirènes de la radicalisation djihadiste.
Un contexte qui entraîne une intensification des conflits déjà existants entre communautés nomades peules et cultivateurs sédentaires dogons, bambaras et mossis. « Tout doucement on commence de nouveau à stigmatiser cette population. Comme il y a une grande majorité de Peuls parmi les djihadistes, les autres communautés se vengent sur les Peuls civils. Les combats font des milliers de morts et des millions de déplacés chaque année. »
Le durcissement des affrontements inter-ethniques a d’ailleurs rendu le travail du photographe encore plus complexe. « La dernière fois que je suis allé au Mali, c’était en janvier dernier, j’étais le seul blanc sur place. Les contacts m’ont permis de travailler mais entre le temps de la proposition du sujet – il y a un peu plus de deux ans – et aujourd’hui, tout s’est totalement dégradé. »
« On compartimente souvent l’Afrique, même chez les photographes »
Représenté par l’agence MYOP en France et Panos Pictures à l’international, publié dans les plus grands magazines et quotidiens internationaux (Paris Match, Figaro Magazine, National Geographic, Stern…), Maitre s’attache au reportage au long cours, à l’enquête géopolitique et au traitement d’une problématique dans son entièreté. « On compartimente souvent l’Afrique, même chez les photographes : il y a les photographes de guerre, les photographes animaliers, ceux qui couvrent les traditions… Mais c’est un tout, tout est lié. »
Entre les rayons du soleil couchant, un berger peul ramène son troupeau en ville pour y passer la nuit. « L’insécurité est extrême et leurs bêtes, c’est toute leur vie », explique Maitre. « Peuls du Sahel » témoigne des traditions et du mode de vie très particulier de ces populations longtemps maltraitées par les autorités. « Il y a toujours eu une peur envers ces peuples nomades, car difficiles à contrôler. » Cité dans l’exposition, le Dr. Bréma Ely Dicko, sociologue et maître de conférences à l’Université des Lettres et des Sciences de Bamako, le confirme : « Comme l’indique [l’écrivain malien] Amadou Hampâté Bâ “un Peul sans troupeau, c’est comme un prince sans couronne”. »
Autre photo, autre lieu : deux jeunes hommes ont le visage couvert de peinture, d’un rouge vif qui jaillit du cadre. Ils célèbrent le Geerewol dans le village de Tamaya, au Niger. Chaque année à la fin de la saison des pluies, en septembre, les peuls Wodaabe se retrouvent après un an de transhumances pour cette fête traditionnelle. « C’est splendide. C’est un concours de beauté où les femmes choisissent un homme soit pour une nuit ou pour le mariage. C’est aussi un moment où il peuvent recevoir des vaccins, faire les papiers. C’est une rencontre essentielle, elle structure leur vie », décrit Maitre.
Sorcier de la couleur, journaliste « storyteller », Pascal Maitre documente de façon remarquable, toujours avec rigueur, une communauté qui a traversé les âges et qui se retrouve aujourd’hui confrontée aux tourments qui frappent cette région de l’Afrique, que lui-même qualifie de « bombe à retardement ».
Avec des textes et légendes détaillées, des cartes précises, il a voulu que cette exposition soit la plus complète et pédagogique possible. « C’est notre rôle de lanceur d’alerte, surtout dans une période comme maintenant où on ne parle quasiment que de l’Ukraine, où le spot éclaire une partie du monde et laisse l’autre dans l’ombre. »
Exposition « Peuls du Sahel » de Pascal Maitre au Pavillon Comtesse de Caen – 27 quai de Conti – Paris 6e. Entrée libre. Du 20 octobre au 4 décembre 2022.
*Olivier Jobard est le lauréat de l’édition 2022 du Prix de Photographie Marc Ladreit de Lacharrière – Académie des beaux-arts, pour son projet Souvenirs d’une vie envolée, ma famille afghane.