La photographe indépendante Paula Bronstein a été désignée lauréate du prix Anja Niedringhaus pour le courage en photojournalisme, décerné cette année par la Fondation internationale des femmes œuvrant dans les médias (IWMF). Carol Guzy et Farzana Wahidy sont également lauréates.
Fondée en 1989, l’IWMF est la seule organisation mondiale à but non lucratif qui propose une aide d’urgence, une formation à la sécurité, des subventions, des occasions de reportage et des financement exclusivement réservés aux femmes journalistes. Le prix s’accompagne d’une récompense de 20 000 dollars, don de la Fondation Howard G. Buffett.
Le prix a été créé en l’honneur de la photojournaliste allemande de l’Associated Press, Anja Niedringhaus. Au cours de sa carrière, cette dernière a couvert des conflits dans le monde entier, constamment exposée au danger afin de pouvoir témoigner. Anja Niedringhaus a été tuée en Afghanistan en 2014 lorsqu’un policier afghan a ouvert le feu alors qu’elle était en voiture avec Kathy Gannon, également journaliste pour Associated Press.
Cette année, le jury était composé des journalistes Tasneem Alsultan, Vanessa Charlot, Jacqueline Larma, Bernadette Tuazon, Nicole Tung et Adriana Zehbrauskas. Après l’annonce des lauréats, le jury a publié cette déclaration : « Les portfolios primés cette année présentent tous des travaux qui personnifient les valeurs d’Anja. Pour Paula, Carol et Farzana, il est évident que le photojournalisme est une seconde nature, à l’instar d’Anja. Nous tenons à féliciter ces femmes courageuses dont le travail a permis de mettre en lumière des histoires mémorables. »
Durant les 40 dernières années, Paula Bronstein a couvert de nombreuses crises aux 4 coins du globe. Elle a été récompensée pour ses images sur les problèmes rencontrés par la population en Afghanistan après la prise du pouvoir par les Talibans en 2021, ainsi que pour ses travaux sur la façon dont la guerre bouleverse la vie des personnes âgées en Ukraine, et sur la migration des Rohingyas du Myanmar vers le Bangladesh.
Au cours de sa carrière, Paula Bronstein a reçu de nombreuses récompenses. Elle a été notamment distinguée par le Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre, les British Journalism Awards, le Festival of Ethical Photography, les International Photography Awards, l’International Women’s Media Foundation, l’Overseas Press Club of America, la National Press Photographers Association, le Prix de la Photographie, le Thailand Foreign Correspondents Club et le World Press Photo.
Son travail a été exposé dans le monde entier, notamment en Australie, en Belgique, en Croatie, en Angleterre, en France, à Hong Kong, en Italie, en Corée, aux Émirats arabes unis et un peu partout aux États-Unis.
« Mon portfolio témoigne de ma façon de travailler et de voir les événements. De la guerre aux catastrophes naturelles, en passant par les épidémies et la toxicomanie, ce n’est jamais facile. Mais il est primordial de travailler sans rechercher à tout prix l’esthétisme graphique, de donner aux images toute la force possible et, si nécessaire, de demander des comptes au pouvoir », a déclaré Paula Bronstein dans un communiqué de presse.
« En tant que journaliste chevronnée et en tant que femme, ce prix représente beaucoup pour moi. Avoir connu Anja et recevoir le prix qui porte son nom signifie que mon âge n’a pas d’importance : ce qui compte, c’est ma passion, mon énergie et ma capacité à effectuer mon travail. Dans notre domaine, les femmes sont souvent reléguées au second plan, et je suis fière de démontrer que ce n’est pas toujours le cas. »
S’exprimant depuis sa chambre d’hôtel à Kiev, où elle couvre actuellement la guerre en Ukraine, elle n’a pas manqué de fustiger l’âgisme qui mine parfois la profession, espérant que ce prix aidera à lutter contre les stéréotypes. « J’ai dit au directeur de la communication que j’étais extrêmement heureuse qu’il nous ait choisies, Carol et moi. Carol a trois ans de moins que moi. Ils ont choisi deux femmes d’une soixantaine d’années. Pour moi, remporter ce prix, c’est permettre à de plus jeunes photographes d’affirmer : “Voilà quelqu’un qui a la soixantaine et qui continue à faire bouger les choses”. Je trouve cela très bien. »
Mais indépendamment de l’âge, les sujets que Bronstein et les autres lauréates couvrent ne se résument pas une simple question de présence : « Couvrir la guerre et les conflits n’est pas facile. Anja a dit un jour – et ses paroles me semblent très juste juste – : “Vous devez présenter les gens sous le meilleur jour possible dans les pires situations de leur vie”. »
Selon Paula Bronstein, les histoires de guerre sont les plus fascinantes. Elle espère attirer l’attention le public par son travail, et que les gens s’engagent pour telle ou telle cause. « C’est en racontant des histoires autour du conflit, en marge de la guerre, que l’on peut susciter l’intérêt […]. Les gens ont vu les photos de Bucha. Ils ont été horrifiés. Mais peu importe le conflit en question, les gens ne veulent pas voir ces images terrifiantes jour après jour. Il faut donc trouver le moyen de leur faire ressentir les choses, afin qu’ils s’identifient… Et pour y parvenir, il faut prendre une photo qui incite les spectateurs à la regarder une deuxième fois, puis une troisième ou une quatrième et qu’ils s’exclament. Cela peut être l’image que j’ai prise dans un hôpital de Kaboul, dont la lumière si spéciale a créé une ambiance et donné cette sensation bouleversante. »
Paula Bronstein estime que cette capacité à susciter chez les spectateurs de l’empathie pour les personnes photographiées est la leçon que doit retenir la nouvelle génération de journalistes, et pas seulement les femmes. « Je m’inquiète aussi pour les jeunes photographes qui débarquent dans les zones de guerre, qui apprennent sur place, et pas seulement à cause du danger. J’espère qu’ils font preuve d’empathie et ne pensent pas trop à leur portfolio… et qu’ils comprennent et ont la sensibilité nécessaire face aux personnes qu’ils photographient. »
Elle cite un exemple tiré de son récent séjour en Ukraine pour illustrer son propos. « Il s’agit en grande partie de créer une histoire convaincante qui leur permettra peut-être de remporter des prix. Puis, tout d’un coup, dix photographes se retrouvent à un enterrement et essaient tous de faire les mêmes images. Et à ce moment-là, nous, en tant que médias, pour être tout à fait franc, nous nous mettons en travers du chemin. »
« Les Ukrainiens sont des gens merveilleux. Ils sont heureux que nous couvrions cette guerre. Mais il est important d’être sensible à leurs traumatismes et à ce qu’ils ont traversé. C’est difficile, et sans doute encore plus pour les jeunes photographes qui n’ont jamais vécu de tels moments auparavant. Il faut s’assurer qu’ils ne franchissent pas la ligne jaune. »
Cette empathie, et la connexion avec les personnes qui regardent les images, caractérisent les lauréates de cette année.
Carol Guzy a été récompensé pour son travail sur des communautés qui tentent de se reconstruire après une tragédie, en Albanie, en Géorgie, en Irak, en Haïti et en Syrie.
Carol Guzy parcourt le monde au gré des conflits et son travail a été récompensé par de nombreux prix. Elle est la seule journaliste à avoir remporté quatre prix Pulitzer. En 1986 et 1995, pour son reportage sur les ravages causés par l’éruption du volcan Nevado del Ruiz en Colombie, puis pour sa couverture de la crise en Haïti. En 2000, elle a remporté le prix du reportage photo pour sa couverture de la situation des réfugiés du Kosovo. Et en 2011, elle s’est vue décerner le prix Breaking News pour sa couverture du tremblement de terre en Haïti.
Elle a également remporté trois fois le prix du photographe de l’année de la National Press Photographers Association et huit fois celui de la White House News Photographers Association. En 1990, elle est devenue la première femme à remporter le prix du photographe de presse de l’année de la National Press Photographers Association. Et en 2018, elle a reçu la médaille d’or Robert Capa.
La photojournaliste Farzana Wahidy est l’autre lauréate de cette édition 2022. Née à Kandahar en Afghanistan, elle déménage à Kaboul pendant la guerre civile afghane. Sous le régime des talibans, elle poursuit ses études dans la clandestinité. Après le lycée, Wahidy s’est inscrite à un programme de deux ans à l’Institut de photojournalisme AINA. En 2004, elle a commencé à travailler pour l’Agence France Presse avant de rejoindre plus tard l’Associated Press.
Comme Bronstein et Guzy, elle a reçu de nombreux prix, ainsi que des bourses de l’Open Society Institute, du National Geographic All Roads Film and Photography Program, de l’université du Missouri et de Mountain Film. Son travail a été publié dans des journaux et magazines internationaux et a fait l’objet de nombreuses expositions.
Le prix Anja Niedringhaus Courage in Photojournalism Award a récompensé son portfolio de portraits de femmes afghanes pris durant 20 ans, et le récit de ces existences chaque jour menacées.
« Il y a tant de femmes photojournalistes qui travaillent aujourd’hui – malgré une fâcheuse disparité entre les sexes dans la profession – parce qu’elles croient en la vérité, une vérité qu’une grande partie du monde ne voit pas toujours », déclare Elisa Lees Muñoz, directrice exécutive de l’IWMF. « C’est un honneur pour l’IWMF de récompenser Paula et de voir aujourd’hui en Carol et en Farzana l’image d’Anja. Ces femmes courageuses font preuve d’une force, d’une détermination et d’une volonté implacables afin de regarder là où les autres préfèrent tourner la tête. »
Le travail de Paula Bronstein sur Instagram : @pbbphoto.
Le travail de Carol Guzy sur Instagram : @carolguzy et Twitter : @cguzy.
Le travail de Farzana Wahidy sur Instagram : @wahidyfarzana et Twitter : @FarzanaWahidy.