Il est habile, de la part de Penny Wolin, d’avoir recouvert son livre Guest Register de galuchat, cet antique cuir de requin à la texture granuleuse, qui devient lisse après ponçage, et qui traverse les siècles au point d’en avoir retrouvé dans les tombes des pharaons de l’Égypte ancienne. Cette couverture semble protéger subtilement le contenu du livre, des portraits intimes de pensionnaires d’un hôtel miteux dans le Hollywood des années 1975.
La plupart de ces 41 pensionnaires sont dépeints comme si leur existence était au ralenti, alors qu’au dehors tout s’accélère, derrière les fenêtres de leurs chambres sommairement meublées : des rêveurs qui n’ont pas décroché le gros lot, ou qui ont trouvé un réconfort dans un univers peuplé de semblables.
Room 526
Devant ces images, dont le format carré rend hommage à Diane Arbus, le spectateur ressent un étrange sentiment de sympathie pour ces gens dans la galère. Pour s’imprégner du quotidien de cet hôtel historique, Peggy Wolin emménage dans la chambre 526.
A la fin du texte émouvant qui accompagne les images, il est fait mention des « Barbares ». Pendant les trois semaines où « Room 526 » (surnom que s’est donné Penny Wolin) a vécu dans l’hôtel, elle a eu affaire à des pensionnaires qui, par appréhension ou jalousie, ont fermement refusé d’être photographiés. Mais les images de Peggy Wolin dissipent l’idée que la photographie vole les âmes en les gravant, par la lumière, sur un banal morceau de plastique. Au contraire, ces photographies sont sans prétention, et mettent en évidence des liens authentiques entre les sujets.
La plupart des histoires évoquées dans les légendes, et les portraits mélancoliques de Guest Register offrent une œuvre poignante. « Vivre ensemble, aimer ensemble ; faire des enfants ensemble », lit-on au-dessous de la photographie d’un couple nommé « Room 222 » : un homme et une femme d’une trentaine d’année, la chemise ouverte. Quant à « Room 333 », elle dépeint une femme âgée et souriante, assise sur son lit non loin de son déambulateur : « Issue d’une riche famille française, s’est installée en Amérique à l’âge de 30 ans. A étudié la littérature française à l’Université Columbia. Vit maintenant avec 166$ par mois », informe la légende.
La photographie intitulée « Roommate 540 » montre un bel homme en short, musclé – sorte de sosie de Paul Kantner, co-fondateur du célèbre groupe Jefferson Airplane –, et qui sourit légèrement à l’objectif. « Grand, fort et soumis », commente la légende. Dans cette série, le fantôme de Diane Arbus est omniprésent, allant et venant entre ces pages. Une intimité rare se ressent dans la plupart des portraits.
Monde fascinant et éphémère
La force des images de Penny Wolin lui a permis de réaliser d’importants reportages et de faire des « rencontres avec des personnes merveilleuses » alors qu’elle naviguait dans les eaux incertaines du monde de la photographie et de l’édition des années 1970 et 1980.
A travers la grande humanité de ses photos présentées dans Guest Register, la photographe nous donne accès à un monde à la fois fascinant et éphémère. Comme si nous observions, depuis l’extérieur de la rue, ces petites histoires se dérouler derrière les fenêtres d’un hôtel à première vue abandonné.
C’est tout un monde rempli d’histoires qui se révèle à nous à travers les petits détails des photos, comme ces canettes de bière vides, ces lits défaits, ces meubles usés… tous ces objets intimes révélés par la lumière d’une ampoule ou par le flash de l’appareil photo.
Guest Register, publié par Crazy Woman Creek Press, photographies et textes de Penny Wolin, 88 pages, 125$.