Les balbutiements du début semblent loin à l’heure où le festival PhotoBrussels inaugure sa sixième édition. L’événement s’institutionnalise en fédérant une quarantaine de lieux et impulse une dynamique nouvelle pour la photographie dans une capitale où elle peine encore à trouver toute la place qu’elle mérite.
Le PhotoBrussels Festival donne ses lettres de noblesse à la photographie dans une capitale encore trop discrète dans le domaine de la photographie. On y retrouve des expositions, ateliers, conférences et une grande exposition thématique au Hangar, épicentre de l’événement. Au travers du parcours, on s’émerveille devant l’exposition consacrée à Helen Levitt à la Fondation A Stichting, on a le souffle coupé devant la collection toute personnelle de Galila Barzilai (sur réservation) et on ressort médusé après s’être confronté au travail de Cyril Albrecht sur « la civilisation oasis » américaine dans l’espace Contretype.
Au cœur du festival, un lieu est devenu emblématique pour la photographie contemporaine dans la capitale belge. Imaginé et fondé en 2015 par Rodolphe de Spoelberch, le Hangar expose les images dans un décor industriel et chaleureux sous la direction de Delphine Dumont, également à l’origine du festival. Et c’est une bonne nouvelle. Cette personnalité aussi spontanée que tenace rassemble autour d’elle une équipe dédiée et un réseau de forces vives pour enfin donner à la photographie une place remarquable dans la ville.
Le Hangar réunit pour cette édition une vingtaine d’artistes au sein d’une exposition: « In the Shadows of Trees ». À l’heure où la COP26 nous engage à cesser la déforestation d’ici 2030, l’exposition interroge et illustre la relation symbiotique qui nous lie aux arbres. Les arbres, éléments présents dès l’origine de la photographie que cela soit dans les herbiers d’Anna Atkins parus en 1843 ou dans les clichés Eugène Atget qui immortalisaient les arbres parisiens au début du 20e siècle.
Aujourd’hui notre relation à la planète est chaque jour plus critique. Don’t look Up raconte sur Netflix une tentative d’Hollywood d’alerter le plus grand nombre sur la préservation de nos ressources. Dans cette logique de sensibilisation, l’exposition opère un focus sur les travaux engagés qui montrent la nature intacte, en sursis, détruite ou déjà artificielle.
Tous les travaux présentés ont une chose en commun : ils nous rappellent au monde dans lequel nous vivons, ce qui est à portée de vue sans que l’on prenne le temps de réellement observer. Dans cette logique, certains photographes questionnent le sentiment du « déjà vu » et nous obligent à regarder à nouveau. Soudain les arbres nous semblent différents, sublimés, empreints d’une poésie nouvelle et d’une beauté fragile.
Lors d’un voyage dans un parc national suédois, Nicolai Howalt a photographié un épicéa dont la localisation est tenue secrète. Pourquoi une telle énigme ? Parce que cet arbre est considéré comme le plus vieil arbre de la planète : il aurait 9600 ans. À partir d’un seul négatif, il le décline sur différents papiers dont certains remontent aux années 1940. Il en résulte une déclinaison subtile qui nous rappelle que l’image photographique est plurielle, instable, imprévisible et révélatrice du temps qui passe.
Kim Jungman, photographe sud-coréen connu pour ses clichés de célébrités présente de magnifiques portraits d’arbres en grand format imprimés sur du papier de riz coréen. Cette série interpelle tout de suite le visiteur : elle révèle la beauté des arbres qui posent sobrement en noir et blanc. Mustapha Azeroual observe et expérimente autour du motif de l’arbre, présent dans la mémoire collective. Ce photographe qui possède une formation scientifique croise procédés anciens et outils numériques pour produire d’énigmatiques artefacts.
Les arbres sont des symboles forts, ils incarnent le bien être, un exutoire, leur énergie réparatrice inspire à certains des « bains de forêts » et ces vertus thérapeutiques se déclinent sous les yeux des visiteurs. Comme un appel à la simplicité ou à la méditation. Kíra Krász est lauréate du prix du festival. Cette jeune photographe hongroise émeut par sa capacité à jouer des décors et son sens du collage. « Les forêts meublent la terre. Les arbres meublent les forêts. Je meuble les arbres », déclare-t-elle en intégrant de vieux meubles dans des arbres, interrogeant par là notre rapport à la construction.
Les photographies monumentales de Mitch Epstein de la série « New York Harbor » font le portrait des arbres majestueux de la métropole. Présents dans les parcs, les trottoirs ou les cimetières, comme des habitants de la ville, mémoire vivante de son histoire, les arbres de Mitch Epstein composent une étude anthropologique urbaine.
L’exposition entraîne aussi le visiteur hors des villes. Le photographe norvégien Terje Abusdal raconte l’histoire d’une communauté de fermiers – les Skogfinn (les Finlandais de la forêt) – un groupe ethnique norvégien qui vit encore au sein des forêts et entretient de nombreuses croyances. Ces photographies troublent par le flou entre réalité et fiction présent dans toute la série, elles évoquent le caractère mystique des forêts.
Et puis le sujet le plus révoltant peut-être est celui d’un phénomène qui s’est intensifié loin de notre vue : la déforestation et la dégradation des forêts responsables de 11% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Eric Guglielmi a réalisé « Paradis perdu » au sein d’une forêt du bassin du Congo, à savoir le deuxième poumon vert de la planète. L’agriculture intensive, l’exploitation de l’huile de palme ou encore le commerce de bois précieux ont accéléré une déforestation intensive. Il réalise le portrait d’autochtones sur des tirages platine-palladium qui renforcent la présence des arbres. Les habitants démunis posent au sein de paysages dévastés.
L’exposition s’inscrit aussi dans l’avenir et pose la question de notre rapport à la nature dans le monde virtuel à l’heure où les métaverses sont sur toutes les lèvres et critiqués pour leur impact environnemental potentiellement néfaste. Le duo d’artistes néerlandais formé par Persijn Broersen et Margit Lukács nous embarque dans un film où une forêt polonaise sauvage et inaccessible est reconstituée en utilisant la technique de la photogrammétrie. La forêt devient un lieu de promenade et nous révèle le potentiel du numérique comme moteur de notre imagination.
Un fil conducteur plus précis aurait peut-être donné plus de corps à l’ensemble mais l’exposition du Hangar nous force à reconsidérer la manière dont nous avons construit nos habitudes en ignorant trop souvent les limites de nos ressources. Le festival offre un cadre d’envergure à des travaux d’artistes engagés, témoins clés des traces visibles de notre impact sur la planète. Ils nous forcent à voir en nous confrontant et il n’y a pas de petite victoire. Comme dit la chanson, « Bruxelles attends-moi j’arrive ».
Par Clara Bastid
Clara Bastid est responsable du développement à la Gaîté Lyrique et commissaire d’expositions photographiques.
La 6ème édition de PhotoBrussels Festival se déroule du 21 janvier au 26 mars 2022.