Ce n’est pas un hasard si l’exposition se tient à Bordeaux. C’est dans cette ville que Pierre Molinier a passé l’essentiel de sa vie et composé son œuvre dans son appartement de la rue des Faussets. Et c’est avec un corpus d’une trentaine d’images de ce photographe si singulier que la collection du Frac-Méca Nouvelle-Aquitaine a été initiée en 1982.
« Un acte manifeste», explique Claire Jacquet, sa directrice. Car Pierre Molinier a toujours été à la marge, tant du point de vue de son style de vie que de son œuvre, les deux étant intrinsèquement liés. Les compositions dans lesquelles il se met en scène ou a recours à des modèles, amis ou professionnels, fascinent et troublent. « Cet artiste précurseur de la performance a développé un imaginaire érotique dès les années 1950 et a aussi pratiqué le montage », commente Marie Canet, co-commissaire avec Claire Jacquet et Emmanuelle Debur.
L’exposition est articulée en sept parties thématiques aux titres explicitent qui, à eux seuls, résument cette œuvre aux accents sulfureux et subversifs : « Ça conteste », « Ça frictionne », « Ça documente », « Ça fusionne », « Ça secte », « Ça transe ».
Le cabaret Molinier
Le parcours mêle les petits formats de Molinier à des peintures, sculptures et autres images de 53 artistes, parmi lesquels Claude Cahun et Hans Bellmer, et s’achève par une installation. Intitulée « Au corset qui tue », cette commande du Frac à Arnaud Labelle-Rojoux fait référence à une boutique de lingerie bordelaise tenue par une amie de Molinier.
Elle réunit dix-huit artistes qui ont eux aussi développé des travaux reposant sur la remise en cause des valeurs esthétiques et morales de leur temps. Dans ce « cabaret Molinier » sont notamment réunis des originaux ou facsimilés de Larry Clark et Michel Journiac ou encore la célèbre image de Lee Miller dans la baignoire du bunker d’Hitler.
Étonnant parcours que celui de Pierre Molinier qui initie son œuvre photographique tardivement, à plus de 50 ans, car rien ne le prédestinait à la vie artistique. Autodidacte, il est issu d’un milieu modeste et, dans les pas de son père, il exerce comme peintre en bâtiment et en décoration. Il est alors marié et père de deux enfants. Le titre de l’exposition, « Rose saumon » fait référence à une teinte fréquemment utilisée dans les intérieurs de l’époque.
« Cette couleur chair était aussi sa préférée », explique Emmanuelle Debur. Avant de se consacrer à la photographie, Pierre Molinier s’essaie à la peinture et au dessin. Cette période est marquée par un scandale lors d’une exposition, en 1951, où est présenté son tableau intitulé « Le grand combat » qui est à découvrir au Frac.
Cette toile grand format presque abstraite est suffisamment figurative pour y distinguer la fusion de plusieurs corps. Dès le départ, les thèmes de l’érotisme et de la sexualité qui constituent les fils conducteurs de son travail photographique sont donc présents. Ce qui explique que son œuvre restera longtemps clandestine. En 1972, l’ouvrage Pierre Molinier par lui-même paraît en Allemagne à Munich, quatre ans avant sa mort par suicide à l’âge de 76 ans. Longtemps controversé, voire incompris, son travail ne connaît une reconnaissance qu’après sa disparition, notamment grâce au galeriste Kamel Mennour qui lui consacre une première exposition personnelle en 1999.
Dix-huit ans après l’exposition au musée des Beaux-Arts de Bordeaux, cette présentation au Frac-Méca à la scénographie sans salles fermées est « réservée aux personnes majeures et interdite aux moins de 18 ans ». Ce choix a permis aux commissaires de se libérer des précautions nécessaires à la présentation d’œuvres qui peuvent choquer.
Les trois commissaires ont privilégié une scénographie à la fois sobre et frontale « sans théâtralité, à l’inverse du boudoir ». Au 6e étage, le Frac propose une introduction à son travail accessible à tous, celle-là, sous le titre « Pierre Molinier, questionner les corps et les genres ». Hier confidentiels, ces sujets sont aujourd’hui abordés au grand jour et sans tabou.
Pierre Molinier, Rose saumon « Nous sommes tous des menteurs », exposition anniversaire – 40 ans des Frac, du 31 mars au 17 septembre 2023, Frac MÉCA, Bordeaux .
Catalogue co-édition Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA et Dilecta, 120 pages, 28 €.