Trois appareils photo en bandoulière, le photographe autodidacte Ruben Natal-San Miguel a arpenté les rues à la recherche des personnes qui forment le cœur et l’âme de New York. Alors que de nombreuses images de la ville tournent autour de la gentrification, des destinations touristiques ou de la criminalité, Natal-San Miguel s’est donné pour mission de créer un portrait plus inclusif des personnes qui font vivre New York 24 heures sur 24. Les images de Natal-San Miguel racontent des histoires de personnes et de lieux, en s’attachant à la façon dont la ville nous façonne et crée de fascinantes combinaisons de style, de personnalité et de beauté.
Inspiré par le travail de Nan Goldin, de Diane Arbus et d’Helen Levitt, Natal-San Miguel a adopté une approche directe du portrait qui fusionne l’énergie cinétique de la vie urbaine et une profonde sensibilité pour ses sujets. Conscient du pouvoir de la visibilité pour les communautés historiquement sous-représentées, Natal-San Miguel s’est engagé à photographier les communautés noires, latinos et LGBTQ, avec une attention particulière pour les femmes.
Natal-San Miguel s’est mis à la photographie après avoir survécu aux attentats du 11 Septembre alors qu’il travaillait à Wall Street. « J’ai décidé que je ne pouvais plus vivre dans l’Upper West Side. Je me suis réinstallé à Harlem et j’ai immédiatement remarqué que sa culture de la rue – si riche – était en train d’être éradiquée par la gentrification. J’ai commencé à photographier pour moi-même, puis j’ai pris conscience de la responsabilité qui en découlait. À mesure que l’Amérique se diversifie, il est important que tous les arts et médias, et en particulier la photographie, documentent ces changements fondamentaux. »
Un acte d’amour
En 2019, deux événements vont changer à jamais la vie de Ruben Natal-San Miguel. Le jour même du décès de sa mère, son amie et voisine, Jennifer Schlecht et sa fille de cinq ans Abby, sont sauvagement assassinées par le mari violent, qui se suicidera juste après. Reconnaissant l’héritage douloureux du féminicide et de la maltraitance domestique, Natal-San Miguel se souvient : « Ma mère n’avait pas le droit de regarder son père quand elle lui parlait. J’en ai été témoin à l’âge de cinq ans. »
Déterminé à mettre à l’honneur les femmes, Natal-San Miguel entreprend alors une série de portraits intitulée « Women R Beautiful » qui offre un panorama inclusif de la féminité aujourd’hui. Natal-San Miguel parcourt les rues de New York afin d’immortaliser les femmes rencontrées en chemin. « Je sors l’esprit ouvert et j’aime photographier toutes les personnes qui attirent mon attention », explique-t-il.
Alors qu’il se rend à un spectacle de Rashaad Newsome au Studio Museum of Harlem, Natal-San Miguel remarque une jeune femme noire portant un pull rose vif et des boucles d’oreilles en forme de menottes dorées. « Elles n’étaient pas en plastique – elles pesaient autant que de vraies menottes ! » assure-t-il. « J’ai décidé d’intituler cette photo Not Just Another Vanilla Portrait(Pas juste un autre portrait à la vanille) car son look ne correspondait à aucune norme. À cette époque, on n’exposait pas de portrait Noir, surtout dans le Massachusetts où celui-ci a été exposé pour la première fois. »
Un devoir de mémoire
Les histoires des femmes de Ruben Natal-San Miguel sont aussi puissantes et émouvantes que les portraits eux-mêmes. Dans le Bronx, il rencontre une femme âgée avec des bigoudis sur la tête et un tatouage sur le cou où est écrit « Carlos » avec trois cœurs. « J’ai été attiré par la perfection architecturale de ses bigoudis, puis j’ai vu le tatouage sur son cou et je lui ai demandé qui était Carlos », se souvient-il.
« Elle m’a répondu fâchée : “C’est un très mauvais mari.” J’ai compris que son tatouage, autrefois acte d’amour, était désormais le symbole de son amertume. Beaucoup de gens n’ont pas l’argent pour faire enlever un tatouage. Elle était dans une relation abusive et ce tatouage en était la cicatrice indélébile. »
En se promenant un jour dans le parc Marcus Garvey à East Harlem, Natal-San Miguel rencontre une jeune femme rayonnante de beauté et de confiance en elle. Elle porte une veste d’un rouge vif assorti à celui de ses lèvres et aux pointes de ses cheveux, et un énorme tatouage lui barre la poitrine : Ivangeline. Ce portrait de 2019 s’est avéré être plus qu’une rencontre passagère – le souvenir d’une jeune femme dans la fleur de l’âge dont la vie fut bien trop brève.
« J’ai pris cette photo quand Ivana avait 18 ans. Elle n’a pas atteint son vingtième anniversaire. Elle est morte en juillet 2021 d’une overdose », raconte Natal-San Miguel, dont le frère était également décédé d’un cancer peu avant. Il a rencontré Elsa, la mère d’Ivana, cette perte mutuelle les a rapprochés. Plus tard, il a fait un portrait d’Elsa à l’endroit même où il avait photographié Ivana deux ans auparavant.