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Quand les femmes prennent les arts

Pour leur 53e édition, les Rencontres d’Arles abordent un sujet longtemps éludé, voire controversé. Avec l’exposition « Une avant-garde féministe », le festival de photographie remonte aux années 1970 pour scruter le rôle de la photographie dans l’affirmation artistique féministe de l’époque.
Isolamento [Isolement] (1972) © Renate Eisenegger, COLLECTION VERBUND, Vienne
Dissolution dans l’eau, pont Marie, 17 heures de Lea Lublin (1978) © Domaine Lea Lublin par Nicolás Lublin, avec l’aimable courtoisie de la galerie Espaivisor, Valence, COLLECTION VERBUND, Vienne

À l’image des combats menés hier par des femmes pour faire valoir leurs droits et talents, longtemps sous estimés, tournés en ridicule ou tout bonnement passés sous silence, les expositions sur ce thème ont eu du mal à se faire une place dans le cercle des galeries, musées et festivals. Jusqu’à il y a peu. Les Rencontres d’Arles ont choisi de sortir des carcans et de mettre un coup de projecteur sur cette révolution artistique au féminin, engagée à travers la photographie dans les années 1970, en intégrant l’exposition « Une avant-garde féministe » dans la programmation de sa nouvelle édition. Ce travail de recherche de longue haleine entamé en 2004 par la collection viennoise Verbund donne la voix à ces femmes artistes qui se sont appropriées l’appareil photo pour se faire entendre. 

VALIE EXPORT
Die Geburtenmadonna [La Madone de la Nativité] (1976) © VALIE EXPORT, ADAGP, Paris, 2022, COLLECTION VERBUND, Vienne

Féminin singulier

Volontairement provocants, radicalement anticonformistes. Ces clichés réunis par la collection Verbund dans le cadre de cette exposition rétrospective sur les traces de ce mouvement artistique qui, il y a 50 ans, a bousculé les codes pour changer l’image de la femme font sourire, parfois rougir, mais poussent surtout à la réflexion. À travers des mises en scène ironiques de la femme au foyer, de ce corps capturé dans son plus simple appareil, le visage grimaçant disgracieusement ou bâillonné, les femmes dénoncent. Sans se soucier des aspects purement techniques de la photographie et du qu’en-dira-t-on, elles font un pied de nez à la tradition, balayant les stéréotypes de manière naturelle, brute et spontanée. Et revendiquent par ce biais leur place dans la société et dans l’art.

Cette avant-garde féministe qui signe l’entrée des femmes dans l’art moderne, Gabriele Schor l’explore depuis près de deux décennies. Directrice de la collection dédiée de la Fondation Verbund et commissaire de l’exposition consacrée au festival arlésien, elle est également l’auteure du livre du même nom, paru fin juin en français aux éditions Delpire & co. « Au cours de mon travail de recherche, j’ai remarqué que les œuvres de nombreuses femmes artistes des années 1970 étaient négligées par l’historiographie de l’art, absentes des collections de musées, plus encore lorsque celles-ci comportaient une revendication féministe. J’ai alors voulu creuser la question et me pencher davantage sur le sujet », raconte la critique d’art autrichienne devenue spécialiste des avant-gardes féministes de l’époque.

Ana Mendieta
Untitled (Glass on Body Imprints) [Sans titre (Vitre sur empreintes corporelles)] (1972/1997) © Collection de la succession d’Ana Mendieta, LLC, avec l’aimable courtoisie de la Galerie Lelong & Co, New York, Société pour le droit des artistes (ARS), New York 2022, COLLECTION VERBUND, Vienne

Une décennie passionnante tant sur le plan politique qu’artistique avec les prémisses du post-modernisme, l’après-68 et cette aspiration collective au changement, la deuxième vague féministe mais aussi l’émergence de nouvelles formes d’expression et de médias. « De nombreux artistes se sont à ce moment-là éloignés de la peinture pour se tourner vers la vidéo, les performances, le cinéma et la photographie, explique Gabriele Schor, qui ne cesse, depuis 18 ans, d’étoffer cette collection et de multiplier ses représentantes. Ce qui est passionnant, c’est que je découvre, encore aujourd’hui, des œuvres radicales, critiques et ironiques de ces années-là, restées dans l’anonymat. En les intégrant dans notre travail sur l’avant-garde féministe, le public peut s’imprégner davantage du contexte historique de l’art et cela leur redonne la place qu’elles méritent. »

À la page

Habillant jusqu’au 25 septembre prochain les murs de la Mécanique générale, cet ancien atelier de mécanique d’Arles, les clichés et vidéos de 71 artistes féministes témoignent de l’émancipation artistique de la femme. Une première en France qui fait écho à l’exposition « Pionnières », proposée récemment au Musée du Luxembourg. Signe pour Gabriele Schor que les lignes bougent. « J’ai proposé cette même exposition dans un musée parisien il y a cinq ans et elle avait alors été refusée au motif que l’exposition était “trop avant-gardiste”. À l’époque, cela m’a surpris de la part de la ville du surréalisme. »

Face [Visage] de Francesca Woodman. Providence, Rhode Island (1975-1976/1997-1999) © La Fondation de la famille Woodman, New York, Société pour le droit des artistes (ARS), New York 2022, COLLECTION VERBUND, Vienne

Le fait que la thématique soit explorée cette année, à Arles et ailleurs, est un signe majeur selon la critique d’art. « Cela montre un certain intérêt pour ce que les femmes ont spécifiquement apporté à l’art, dans les années 1920 et dans les années 1970, deux décennies au cours desquelles les femmes artistes ont produit un art progressiste. Cet engagement critique se reflète dans les œuvres d’artistes contemporaines. Il est gratifiant de constater que le marché de l’art les met désormais à l’honneur et les rend accessibles aux collectionneurs, aux conservateurs et aux critiques, ainsi qu’à un large public. Il est d’autant plus important aujourd’hui de se souvenir du mouvement artistique féministe car nous assistons politiquement et socialement à la montée des valeurs conservatrices que combattaient déjà le mouvement féministe dans les années 1970. L’histoire ne semble pas être linéaire, dans le sens d’un progrès de la pensée.» Paru quelques jours après la révocation du droit à l’avortement aux États-Unis, le livre Une avant-garde féministe tombe à pic. En plus de pérenniser le combat relayé par l’exposition, il continue d’aiguiser la conscience féministe, notamment quant au droit à disposer de son corps.

« Une avant-garde féministe. Photographies et performances des années 1970 de la collection Verbund », aux Rencontres d’Arles à la Mécanique générale, jusqu’au 25 septembre 2022.

Une avant-garde féministe de Gabriele Schor, éd. Delpire & co, 496 pages, 62€.

Consumer Art [Art du consommateur] (1972-1975) © Natalia LL, avec l’aimable courtoisie du Lokal 30, Warsaw, COLLECTION VERBUND, Vienne

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