Avec ses 191 exposants venus du monde entier, Paris Photo se revendique comme la grande galerie de la création photographique et visuelle du XIXe siècle à nos jours. La foire parisienne ne pouvait donc pas passer à côté du phénomène des expressions mêlant art et nouvelle technologie. Un nouvel espace dédié au digital a donc vu le jour sous les arcades du Grand Palais Éphémère. Sa programmation a été confiée à Nina Roehrs, cofondatrice de la galerie Roehrs & Boetsch basée à Zurich et spécialisée dans l’art numérique depuis 2016.
« Au même titre que nous nous intéressons aux artistes contemporains qui revisitent les techniques anciennes, les NFT et autres œuvres générées par l’intelligence artificielle font désormais partie des formes nouvelles que prennent les images », expliquait à Blind la directrice de Paris Photo Florence Bourgeois. Paris Photo est ainsi la première foire d’art européenne à consacrer une section entière de sa programmation au digital avec 9 galeries représentées.
L’IA sous toutes ses formes
9 galeries – dont une importante délégation allemande – et autant d’approches différentes et originales s’exposent dans ce millésime 2023 de Paris Photo. L’artiste Damjanski représenté par la galerie allemande Office Impart réalise des formes géométriques aux couleurs acidulées réalisées par un algorithme d’IA à partir de photos de smartphones. Paolo Cirio de la galerie Nome ressuscite Michael Jackson aux côtés de Ronald Reagan. Kevin Abosch, de chez Nagel Draxler, invente via des logiciels d’IA des photos de lieux fictifs qui évoquent l’urbanisation new yorkaise.
L’Avant Galerie Vossen présente de son côté la loufoque et décalée exposition « Aïe, Aïe, I.A.! », où l’IA génère un kaléidoscope d’une armée d’Emmanuel Macron ou de George W. Bush s’embrassant à pleine bouche dans un style marionnettes des Guignols de l’info. Les artistes présentés par L’Avant Galerie Vossen, Robbie Barrat, u2p050 et Albertine Meunier, sont d’ailleurs présentés non comme des photographes mais comme « des artistes numériques reconnus ».
« La digitalisation est en plein essor, mais elle n’est pas un phénomène nouveau en soi; elle s’est développée durant plusieurs décennies grâce à la rapidité des progrès technologiques », rappelle toutefois Nina Roehrs. On pense notamment en voyant certaines créations de ce secteur de Paris Photo au mouvement de la generative fotografie et aux œuvres expérimentales de Gottfried Jäger présentées par exemple en 1968 à l’exposition « Generative fotografie » à la Kunsthaus de Bielefeld, en Allemagne.
Une photo générée par IA à 20 000 €
Elle est un peu la star sulfureuse du salon. Disons qu’elle s’est faite une sacrée réputation. En avril dernier, la photographie The Electrician de l’Allemand Boris Eldagsen remportait le Sony World Photography Awards dans la catégorie « création ». Un cliché en noir et blanc de deux femmes semblant avoir été réalisé à la chambre photo. Un portrait d’une grande douceur qui s’avère en réalité être une photographie entièrement générée par intelligence artificielle. Boris Eldagsen refuse le prix après avoir révélé son tour, et explique avoir souhaité tester la solidité des jurys et des organisateurs.
La voilà donc exposée à Paris Photo par la plateforme Photo Edition Berlin. Et le prix de vente a de quoi affoler le marché : 20 000 €. L’œuvre signée a été produite à 10 exemplaires. De l’aveu même des représentants de Photo Edition Berlin, des sommes astronomiques leur ont été proposées pour l’achat de The Electrician. Preuve que le marché s’est vite emparé de ces nouvelles expressions digitales. « Avec l’accélération de la digitalisation, les frontières entre les mondes physique et numérique s’estompent de plus en plus. Cela se reflète dans les œuvres et les processus créatifs des artistes. Ce qui commence digitalement peut prendre forme dans le monde physique, et inversement », analyse Nina Roehrs qui soulève néanmoins une question particulièrement sensible et encore sans réelle réponse : celle de la gestion des droits d’auteur.
26e Paris Photo, Grand Palais Éphémère, Place Joffre, Paris 7e, du 9 au 12 novembre 2023
