La Cour pénale internationale (CPI) enquête et juge les individus accusés des crimes les plus graves auxquels la planète est confrontée. Mais la CPI, dont le siège est à La Haye, aux Pays-Bas, ne peut exercer sa compétence que lorsque les tribunaux nationaux d’un État ne peuvent ou ne veulent poursuivre les criminels. Il s’agit d’une juridiction de dernier recours pour les victimes des crimes les plus odieux qui resteraient autrement impunis.
Le document fondateur de la Cour, le Statut de Rome, donne à la CPI compétence pour quatre crimes spécifiques : actes de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées. Pris ensemble, ils résument les pires horreurs que l’humanité puisse s’infliger.
Afin d’enquêter sur ces crimes, la CPI rencontre, par le biais de ses missions de sensibilisation, les survivants, leurs familles et leurs communautés. Ces programmes visent à promouvoir l’accès à la Cour pour ceux qui en ont le plus besoin, quelle que soit leur situation géographique ou la distance qui les sépare de la Cour. Ils donnent à ces personnes la possibilité de se faire entendre, de raconter leur histoire et d’obtenir des réponses à leurs questions.
Le photographe Pete Muller explique par mail : « Par-dessus tout, la guerre repose sur une divergence narrative quasi existentielle entre les parties en présence. S’il y a une chose que j’ai apprise en documentant les conflits, c’est que toutes les camps impliqués sont persuadés d’avoir raison et que leurs actions – aussi répréhensibles soient-elles – sont en quelque sorte justifiées. Il est à la fois extraordinaire, dégrisant et inspirant de voir des avocats très compétents utiliser les informations disponibles pour déconstruire les divergences narratives intrinsèques à la guerre. »
Dans l’exposition « La vie après un conflit », présentée aux Nations Unies jusqu’au 29 juillet, les photographes Rena Effendi, Pete Muller et Finbarr O’Reilly documentent certaines des histoires dont les fonctionnaires de la CPI ont été les témoins. Leur travail couvre cinq pays : la République centrafricaine, la République de Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo, la République de Géorgie et la République d’Ouganda.
Les récits recueillis dans ces cinq pays ont de nombreux points communs. Ils racontent notamment ce que perdent les personnes déplacées lors d’un conflit, comment les liens familiaux sont affectés pendant et après le conflit, et le rôle essentiel de la communauté dans le processus de reconstruction.
Lorsqu’on lui demande ce que les spectateurs doivent retenir de ces images, Pete Muller répond : « La brutalité de la guerre ne fait que s’intensifier lorsque les responsables de crimes particulièrement odieux n’ont pas à rendre de comptes. Je pense qu’à cet égard, la Cour pénale internationale est une institution fondamentale. J’espère que nos photos pourront humaniser des conflits qui autrement peuvent sembler lointains à de nombreux spectateurs. »
Un chapitre de l’exposition est consacré à « La vie en RDC », un reportage de Finbarr O’Reilly qui fait partie des lauréats du 11e Prix Carmignac de photojournalisme. Ce prix annuel finance un reportage photographique au long cours, qui fait l’objet à la fois d’une monographie et d’une exposition itinérante. Le lauréat reçoit une bourse de 50 000 € pour un travail sur le terrain pendant 6 mois.
La 11e édition du Prix Carmignac, consacrée à la République démocratique du Congo a été remportée par O’Reilly. Il a commencé son travail en janvier 2020, mais le projet a été impacté par la pandémie de Covid-19, et donc interrompu. Lorsque les frontières se sont rouvertes, O’Reilly a pu retourner en RDC pour terminer son reportage.
Le travail d’O’Reilly se concentre sur la sécurité et les droits de l’homme dans la partie orientale de la RDC. Il a mis l’accent sur les liens entre l’environnement et la crise climatique, l’histoire coloniale de la RDC et la manière dont son exploitation continue par les industries qui extraient ses ressources naturelles, affectant durablement le quotidien du peuple congolais.
« Ce qui se passe là-bas est la suite de rapports de force mis en place par les Belges à l’époque coloniale. Et une grande partie des combats et des tensions actuelles sont le fait de communautés divisées par les Belges. Ainsi, des massacres dans certaines zones du pays, sont le résultat direct du choix qu’avaient fait les Belges de favoriser telle ethnie contre telle autre. »
Cette histoire coloniale et les dissensions entre communautés sont à l’origine de ce qui se passe aujourd’hui.
« Cette marginalisation de certaines ethnies a conduit à des tensions qui perdurent et à des conflits permanents pour s’approprier la terre. D’ailleurs à qui appartient cette terre ? Qui peut cultiver ici ou là ? Et, bien sûr, les ressources du sous-sol compliquent encore un peu plus les choses. »
Le travail de Finbarr O’Reilly s’intéresse à toutes ces questions : les déplacés, les fractures dans la société, exacerbées par les catastrophes naturelles, le tribut payé à l’environnement par ceux qui cherchent à extraire ce qui se trouve dans le sous-sol, et la violence consécutive à tout cela.
Un travail réalisé en janvier et février, en collaboration avec la CPI et le Fonds dédié à l’indemnisation des victimes, là où ont été identifiées les personnes susceptibles de recevoir réparation. Mais c’est un processus très long, certains des crimes ayant été commis il y a plusieurs décennies. Et dans la majorité des cas, les montants sont modestes, de quelques centaines à quelques milliers de dollars. Cependant les objectifs de la CPI sont fondamentaux, à l’instar de la justice. Mais même dans ce domaine, la réalité sur le terrain peut s’avérer compliquée.
« Certaines victimes ont pu bénéficier du fonds spécial. En tant que journaliste, il très intéressant de constater les montants perçus. Et lorsque vous les interrogez, certaines ont le sentiment d’avoir obtenu justice. D’autres, non. Mais quid de ce processus ? De la responsabilité ? Et comment créer un état de droit international ? Ce sont ces structures qui portent ces idéaux. Donc, si cela est fondamental, c’est aussi une réalité représentant un défi extrêmement complexe. »
O’Reilly souhaite aussi que ses images incitent le public à voir au-delà de la simple couverture médiatique d’histoires que l’on pourrait considérer banales. Les racines de la corruption et de la brutalité sont bien plus profondes.
« La colonisation s’est construite sur la corruption. Ces sociétés ont été exploitées jusqu’à l’os par les nations d’abondance dans lesquelles nous vivons aujourd’hui. Nos téléphones et ordinateurs portables contiennent tous des métaux extraits du sous-sol de pays comme le Congo. »
Pour déchiffrer cette histoire, il faut intégrer la corruption et l’exploitation qui en découlent.
« Je veux que le public comprenne que les individus de ces images, ne sont pas les seuls à blâmer. Cela remonte à bien plus loin, comme aux États-Unis. Quelles sont les racines de la plupart de ces conflits contemporains ? Ils trouvent leurs racines dans l’histoire de l’esclavage d’états coloniaux. Il en va ainsi du Congo. J’espère que le spectateur en ressortira avec une meilleure compréhension de l’influence occidentale, une influence en grande partie responsable de la situation que ces pays connaissent aujourd’hui. »
Les expositions « La vie après le conflit » et « La vie en RDC » sont présentées au siège des Nations unies à New York jusqu’au 29 juillet. Les billets peuvent être réservés ici.
Le livre Congo de Finbarr O’Reilly peut être commandé auprès de Reliefs ici.