Richard Mosse est un homme de frontières. Frontière entre le photoreportage et l’art contemporain. Où tous les procédés photographiques sont expérimentés. Avec « Richard Mosse : Displaced », la Fondation MAST de Bologne, en Italie, expose près de 80 clichés grand format du photographe Irlandais et offre une première grande rétrospective au photoreporter qui n’a pas arrêté de parcourir les zones de conflits, à commencer par la Bosnie, le Kosovo, la bande de Gaza…
La guerre version Andy Warhol
Mais il ne pouvait y avoir une rétrospective de Richard Mosse sans sa série emblématique : « Infra ». Une plongée irréelle, presque hallucinatoire dans la violente réalité de la guerre civile en République démocratique du Congo entre 2010 et 2015. Des couleurs de négatif où la nature luxuriante passe du vert au rose éclatant. Où les kalachnikovs ressemblent à d’innocents jouets aux mains de soldats perdus dans des paysages surréalistes. Cette œuvre unique a été réalisée grâce à l’utilisation ingénieuse et osée du film Kodak Aerochrome III Infrared 1443, un film infrarouge à vocation militaire, redoutable outil de reconnaissance et de détection.
Richard Mosse le détourne merveilleusement bien. Un crâne disposé au milieu de fleurs devient un memento mori, dans un style Andy Warhol. Il raconte pourtant une histoire tragique. Celle d’une victime du massacre perpétré par les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) dans le village de Busurungi en République démocratique du Congo en 2009. Selon un rapport de l’ONU, au moins 96 civils ont été assassinés. Abattus par balle, poignardés, ou découpés à la machette. Sans atténuer la violence et la réalité, Richard Mosse donne un nouveau visage à la photographie de guerre, une révolution.
Caméra thermique et drone militaire
Osons dire que Richard Mosse est un peu le Stanley Kubrick de la photo. Comparaison risquée. Mais il y a chez le photographe la même quête de l’innovation que chez le réalisateur de 2001, L’Odyssée de l’espace. Chaque reportage comporte une nouvelle trouvaille, un nouveau lien entre la photo et un procédé technologique. Comme Kubrick avec les optiques de la Nasa pour saisir toute l’intimité des éclairages à la bougie dans Barry Lyndon, Richard Mosse se saisit de caméras thermiques de l’armée pour créer la série « Heat Maps » et la vidéo Incoming sur les routes migratoires de l’Europe. L’objectif longue portée permet de détecter des sources de chaleur à plusieurs kilomètres de distance. Sur les clichés en négatif, les silhouettes ne sont que des ombres, impersonnelles, impossible à identifier. Symbole d’une indifférence mondiale face aux drames humains. Le photojournaliste irlandais a également élaboré, avec le même procédé, d’impressionnants panoramas de camps de réfugiés. Réalisés en associant plusieurs centaines de photographies pour créer de longs panneaux aux détails impressionnants. Le résultat offre un noir et blanc proche d’une gravure, brut et agressif.
Ses deux derniers travaux nous emmènent dans la forêt amazonienne. Pour sa série « Tristes Tropiques », référence au livre de l’ethnologue Claude Lévi-Strauss, Richard Mosse compose des images aériennes stupéfiantes réalisées grâce à des drones et des caméras militaires. Témoignage de la déforestation intensive opérée dans les régions amazoniennes. Les photos deviennent de véritables peintures. Presque du Pollock pour certaines. C’est en cela que dans sa démarche, Mosse est autant photojournaliste qu’artiste contemporain. Avec une exposition de ces clichés grand format, la fondation MAST offre une incontournable et fascinante rétrospective. Si les vacances vous emmènent à Bologne, il serait dommage de passer à côté.
Par Michaël Naulin
Michaël Naulin est journaliste. Passé par les rédactions de presse régionale et nationale, il est avant tout passionné de photographie et plus particulièrement de photoreportage.
« Richard Mosse : Displaced ». Jusqu’au 9 septembre à la Fondation Mast de Bologne (Italie).