Un Doisneau peut en cacher un autre. C’est ainsi que l’on pourrait résumer le travail de Philippe Apeloig, graphiste émérite, qui s’est vu confier par Dorothée Cunéo, directrice des éditions Denoël, le lifting de La Banlieue de Paris, un classique des classiques paru en 1949. On le sait, ou pas, ce livre mitoyen, entre deux aventuriers du réel, l’un plus bourlingueur que l’autre, enracina la vision de cités alors méconnues, Gentilly (lieu de naissance de Robert Doisneau), Arcueil (où vécut Erik Satie le magnifique), Choisy-le-Roi et sa Fête des Gondoles, Le Kremlin-Bicêtre et son marché aux puces. Ou Montrouge et le café La poule au gibier, qui, à lui seul, condense l’incroyable talent de Doisneau à composer son récit avec des personnages du quotidien, ici des joueurs de billard, comme surgis d’une ombre romanesque.
Surprise de Philippe Apeloig lorsqu’il découvre les originaux en compagnie des « demoiselles Doisneau », Annette et Francine, quelque chose lui paraît « bizarre ». En fait, dans l’édition de 1949, les 130 photographies ont été recadrées « de façon excessive », souligne le graphiste. Hypothèse : à l’époque, le maquettiste a peut-être voulu valoriser le côté humaniste du photographe. « Humaniste, aujourd’hui, on n’a pas besoin de moi pour le dire, tout le monde le sait, c’est évident, c’était quelqu’un qui aimait les gens. »
Première tâche, donc, mettre en page les vraies photographies, dans le même ordre, bien évidemment, ou plutôt « dans une égale fluidité », si l’on reprend les mots précis du graphiste, séduit par « ces images inépuisables, riches en tensions et en contrastes, le vide/ le plein, l’isolement/ la foule, l’action/ l’inaction. Et toutes ces enseignes, cette typographie des villes à l’air libre, comment imaginer une ville où il n’y a rien à lire… »
Conséquence : le format doit être agrandi (230 x 265 mm), La Banlieue a besoin d’espace, pas question d’écraser ces villes progressivement privées de bistrots, « ce sont les pompes à essence qui ont pris leur place » (Cendrars).
Il faut aussi mettre du blanc, du blanc silence, ou du blanc respiration, c’est selon, la page blanche est une signature qui fait planer: « Le graphisme, c’est comme un bâtiment, il faut des fondations, ça ne doit pas forcément être vu, mais ressenti. Certes, il faut faire preuve d’invention, mais aussi d’humilité, impossible de venir en rivalité avec la photographie. »
S’il a fait quelques modifications qui facilitent la lecture, comme les légendes en tête de chapitres, Philippe Apeloig a aussi peaufiné la couverture, tout en gardant l’essentiel, ce vague à l’âme du vingtième siècle. Les années passant, Cendrars et Doisneau sont devenus comme des frères dans La Banlieue de Paris. Leurs deux noms, désormais inscrits en lettres capitales, évoquent ce duo légendaire, qui fit écrire à Blaise Cendrars, si justement émouvant dans ses robinsonnades et ses amitiés : « Seule la photo peut donner aux gens cet air de famille qu’il est quasi impossible de rendre par l’écriture. »
La Banlieue de Paris, texte de Blaise Cendrars, photographies de Robert Doisneau, Denoël, 200 pp., 49 euros. En fin de volume, texte de Claude Leroy, et échange épistolaire entre Cendrars et Doisneau.
Tout Blaise Cendrars publié par Denoël.