Une neige légère tombe sur le château de Versailles, scintillant comme dans un conte de fées, alors qu’un contingent de créateurs de mode et de mannequins américains arrive au majestueux domaine pour la légendaire « bataille de Versailles », le 28 novembre 1973. L’événement est organisé pour collecter des fonds en faveur du château, tombé dans un état de délabrement après la Première Guerre mondiale et qui est alors devenu l’incarnation du « shabby chic ».
La publiciste de mode Eleanor Lambert (1903-2003) saisit l’occasion pour imaginer un projet qui catapulterait une nouvelle coterie de créateurs sur la scène mondiale. Eleanor Lambert, qui est à l’origine du gala du Met Museum, de la Semaine de la mode de New York et de l’International Best Dressed List (la liste internationale des personnes les mieux habillées), s’associe donc au conservateur de Versailles, Gerald Van der Kemp, pour ainsi organiser ce somptueux défilé de mode opposant les jeunes créateurs éclectiques américains à l’estimée vieille garde française.
Dans son nouveau livre, The Battle of Versailles : The Fashion Showdown of 1973, l’auteur Mark Bozek revisite ce chapitre étincelant de l’histoire de la mode à travers les images des photographes Bill Cunningham et Jean-Luce Huré. Le livre s’ouvre sur les arrivées du dimanche 24 novembre, puis rend compte des coulisses des événements durant la semaine, avec en point d’orgue une édition inédite, en fac-similé, du Journal intime de Versailles de Cunningham, dans lequel le photographe britannique livre ses impressions personnelles.
Paris brûle
Dans les années 1970, alors que le prêt-à-porter fait des ravages dans le monde entier, l’Amérique est à l’avant-garde de la mode, avec une industrie où les femmes rayonnent. En 1973, les femmes représentent ainsi 43 % de la main-d’œuvre américaine, tirant parti de leur pouvoir dans l’économie du pays pour gagner en influence politique et en liberté personnelle. La mode télégraphie les ambitions, les aspirations et les rêves, soigneusement emballés dans des identités prêtes à porter telles que la femme de carrière, la femme au foyer, la mondaine, la bohémienne…
Durant plusieurs décennies, les créateurs de mode américains restent pourtant dans l’ombre de leurs homologues européens, jusqu’à ce qu’une nouvelle génération de jeunes pousses entre en scène. La bataille de Versailles, cet événement surprenant, redéfinit à l’époque la mode comme un terrain d’expérimentation entre la tradition et l’innovation.
On peut véritablement parler d’affrontement entre les créateurs américains (Oscar de la Renta, Stephen Burrows, Halston, Bill Blass et Anne Klein) et les français (Yves Saint Laurent, Pierre Cardin, Emanuel Ungaro, Marc Bohan et Hubert de Givenchy), en tête-à-tête, devant un parterre de 700 personnalités dont Grace Kelly, Andy Warhol et Liza Minnelli.
La légende raconte que bien que la France bénéficie de nombreux avantages, elle ne peut alors rivaliser avec la bravoure, l’ingéniosité et le désir effréné des Américains, qui volent la vedette dès le début avec l’interprétation électrisante de « New York, New York » par Liza Minelli. Les mannequins noirs comme Pat Cleveland, Ramona Saunders et Alva Chimm enflamment la scène avec leur tenues qui évoquent le cygne, un clin d’œil à l’expatriée américaine Joséphine Baker, qui se trouve dans le public ce soir-là, et dont l’animal s’exprime dans ses robes de soirées légendaires. L’identité du vainqueur ne fait aucun doute, et c’est un bouleversement qui marquera l’ascension de New York en tant que capitale mondiale de la mode.
Dans son Journal de Versailles, Bill Cunningham écrit le 30 novembre 1973: « Jamais au cours de ce siècle une fête de cette ampleur, d’un goût aussi somptueux, n’a été organisée à Versailles… La scène était si inspirante. Les femmes les plus aristocratiques ont été vues tourbillonnant sur les parquets jusqu’à 3h30 du matin. »
The Battle of Versailles : The Fashion Showdown of 1973 est publié par Rizzoli New York, et disponible au prix de 85 $.