Rompu aux modes américaines et doté d’un esprit vif et d’une intelligence aiguisée, Christopher Makos prend le monde de l’art à bras le corps lorsqu’il publie le livre White Trash en 1977. Incarnant la débrouille de l’époque, ce livre de poche sulfureux rassemble alors des photos noir et blanc à la fois sordides et glamour de Patti Smith, Debbie Harry, Andy Warhol, Grace Jones, David Bowie et John Waters, télescopant les univers chics et les bas-fonds.
S’il n’est pas au départ un aficionados de la vie nocturne, Makos s’y adapte vite en arrivant en ville avec l’écrivain Dotson Rader. « Il m’emmenait d’un vernissage à l’autre, et c’est ainsi que j’ai rencontré des gens comme Andy Warhol et Tennessee Williams », raconte-t-il. « New York a le don de créer des liens. Ici, contrairement au reste de l’Amérique, en se promenant, on peut rencontrer des tas de gens. Manhattan est un monde à part, et j’ai fini par me l’approprier. Et j’ai raconté mon histoire en prenant des photos. »
Que ce soit au CBGB, temple du punk, ou dans le penthouse de Halston de l’Olympic Towers, Makos capte l’énergie brute qui balaie Manhattan vers la fin de la décennie. À l’époque, comme aujourd’hui, il ne vit que pour l’instant présent, sans le besoin d’étiqueter, d’interpréter ou d’analyser le monde tel qu’il se révèle à lui. Ainsi, les images de Makos n’ont aujourd’hui pas pris une ride, fidèles à l’éternelle énergie de la Grosse Pomme.
Très vite, Makos devient un intime du premier cercle d’Andy Warhol, ce qui lui offre le meilleur angle pour immortaliser les dernières itérations de la Factory et de sa famille élargie. Via une nouvelle exposition intitulée « Money », une monographie Andy Modeling Portfolio et une apparition dans la célèbre série documentaire The Andy Warhol Diaries, Makos revisite cet illustre chapitre de l’histoire de l’art.
Suivre son instinct
Originaire de Lowell, dans le Massachusetts, Christopher Makos déménage dans le sud de la Californie à l’âge de 13 ans. Même s’il grandit à la belle époque du surf, Makos a le sentiment du travail inachevé sur la côte Est. En 1969, avec un ami, il se lance dans une traversée du pays en Ford Mustang décapotable. Arrivé à New York, il n’a plus un sou en poche. Il trouve un logement dans le West Village, qui est encore un refuge pour les bohèmes, et un quartier qu’il considère toujours comme sa patrie. « Quand on est photographe, on veut être libre de ses mouvements et de ses fantaisies », dit-il.
Makos débute dans le métier sous une bonne étoile en devenant l’assistant de May Ray à Fregene, en Italie, en 1976. L’artiste prend le jeune photographe sous son aile et lui transmet le secret de sa réussite : « Suivre son instinct. »
Makos applique le conseil à la lettre, tant dans sa vie que dans son travail. « J’ai appris très tôt à avoir confiance en moi, à m’aimer et à savoir qui je suis », explique-t-il. « Dès lors que votre boussole interne est fiable et que vous avez compris qui vous êtes et ce que vous souhaitez dans la vie, vous êtes libre d’expérimenter tout ce qui se présente à vous. J’ai eu la chance d’être à New York quand la ville était au zénith de la créativité artistique, de la musique à la poésie, en passant par la danse. Je n’avais que l’embarras du choix. Mais j’ai dû rester concentré – ce qui est primordial. Parce qu’en fin de compte, il ne faut compter que sur soi-même. »
La capacité de Makos à suivre le courant sans perdre le cap lui permet de créer des images qui transcendent les frontières et sont exemptes d’une approche formelle. Adepte de l’expérimentation, il assemble des photographies à l’aide d’une machine à coudre pour créer des patchworks – une technique soufflée à Andy Warhol il y a quelques décennies et à laquelle il s’est remis aux premiers jours de la pandémie du COVID.
« Il faut laisser libre cours aux choses », explique-t-il. « Que je photographie un individu, une voiture, un paysage ou une rue, pour moi, ce sont toujours des portraits. Je suis seul maître de mes images. Personne ne peut décider ce qu’elles sont. Au début d’une carrière, c’est utile d’avoir des conseils, mais une fois que vous savez où vous allez, gardez le cap, apposez votre sceau, proclamez : “Ceci m’appartient”. Prenez les choses en main et revendiquez-les. »
Le coup de l’argent
L’exposition « Money » est l’occasion pour Christopher Makos de présenter plus de 60 images, collages et assemblages qui offrent un regard sarcastique et original sur l’idée de « money shot ». Avec des photographies de personnalités comme Jean-Michel Basquiat, Keith Haring, Liza Minelli et Elizabeth Taylor, ainsi que des autoportraits nus, des escrocs et des mannequins masculins, dont Ken Moody, petit ami de Robert Mapplethorpe, cette exposition offre une somptueuse célébration de la chair, de la célébrité et de l’excentricité.
Et si Makos a pioché dans ses archives, ses œuvres ne sont en rien nostalgiques. Au contraire, elles servent de trait d’union entre passé et présent. Makos excelle dans l’art de la collaboration, conscient qu’il faut être deux pour que le résultat soit à la hauteur. « Lorsque vous collaborez, chacun respecte les limites de l’autre », dit-il. « C’est extraordinaire car vous avez à la fois un acteur et un spectateur. Depuis mes collaborations avec Warhol, ça m’a toujours été bénéfique. »
Makos rencontre Warhol en 1975, à la Biennale du Whitney. « Andy m’a demandé de passer du temps au Max’s Kansas City, mais j’étais plutôt le genre de gars à vivre en plein air, alors l’idée d’aller dans une boîte de nuit ne m’enchantait pas. J’ai laissé tomber », raconte Makos.
En 1976, il commence à travailler sur sa première exposition de photos, « Step on It », une collection de tirages sous plexiglas présentée à l’étage de la galerie du 492 Broadway. « Il s’agissait de faire en sorte que les gens regardent la photographie d’une manière différente et de manipuler le spectateur pour qu’il regarde de haut en bas », explique-t-il. « J’ai pensé que c’était quelque chose que Warhol pourrait trouver intéressant, et je l’ai donc contacté, mais il était occupé ce soir-là et il a envoyé Bob Colacello, le rédacteur en chef d’Interview. Bob a trouvé ça intéressant et il m’a invité à la Factory pour rencontrer Andy. »
Une fois introduit dans la sacrosainte Factory, Christopher Makos devient un compagnon de route de Warhol. « La Factory incitait à la créativité et à la collaboration. Lorsque vous êtes au milieu d’une tornade, ce qu’était la Factory, pensées et autres se bousculent, ce qui aide à grandir en tant que personne et artiste », raconte Christopher Makos. « Pour moi, c’est l’université de la Factory, et quand je vois des gens comme Vincent Fremont ou Bob Colacello, c’est comme une réunion d’anciens élèves. Ma carrière a vraiment démarré grâce à ces merveilleuses personnes – et nous sommes toujours amis à ce jour. »
« Christopher Makos : Money » est présentée au Daniel Cooney Fine Art à New York du 5 mai au 18 juin 2022.
Andy Modeling Portfolio est publié par G Editions, 65 €.
The Andy Warhol Diaries est actuellement disponible en streaming sur Netflix.