Ces photos de Stephen Shames sonnent comme une vieille cassette que l’on rembobine. Des sourires, des embrassades, des rires, des pleurs. Un voyage nostalgique dans la jeunesse des années 1970 et 1980. Né en 1947, le photojournaliste américain a passé une grande partie de sa vie à photographier les jeunes démunis partout dans le monde. Cette très belle rétrospective d’une quarantaine de clichés en noir et blanc, présentée à Paris à la galerie Esther Woerdehoff, est consacrée aux États-Unis et au Canada. Des tirages rarement exposés du photographe liés éternellement à ses reportages sur le mouvement du Black Panther Party.
« Ce n’est pas seulement une exposition sur la pauvreté. Ce sont des gamins qui découvrent ce qu’est l’amour, qui ont des rêves comme tous les enfants, même s’ils doivent faire face à la pauvreté », explique Stephen Shames, Leica en bandoulière. Plusieurs séries de reportages sont rassemblées ici, notamment Bronx Boys. Le photographe passera 30 ans à photographier les habitants de ce quartier pauvre de New York.
Les héros de la rue
50 ans après, ses photos ont toujours autant de force. Le noir et blanc est puissant, intime et vif. On y découvre la vie quotidienne de ces gosses de rue, tatouages au bras, clope aux lèvres, revolver glissé dans le pantalon. Ils dégagent tous une énergie, une soif de vivre étonnante. On aimerait faire partie de leur bande. Ecouter de la musique, s’endormir Converse aux pieds, sauter entre deux immeubles en brique, connaître son premier amour. Pour Stephen Shames, ces photos sont universelles, « Tout le monde doit faire face à l’adolescence, on traverse tous ce moment de la vie », rappelle-t-il.
La photo de Stephen Shames n’est pas misérabiliste. Il capture ces instants de vie, se met à la hauteur de ces jeunes désœuvrés sans porter de jugement. « La plupart des gens regardent les pauvres comme des victimes, se sentent désolés pour eux parce qu’ils ont un sentiment de supériorité. Je ne dis pas que la pauvreté est une bonne chose, mais j’essaye de montrer que ces jeunes sont des héros. Ils survivent, vivent leur vie », témoigne le photojournaliste.
Pendant des années, il s’est mélangé à ces jeunes, s’est intégré pour retranscrire au mieux le quotidien de ces quartiers pauvres. « Je n’ai pas été dans une famille pauvre, mais je n’ai pas eu une enfance facile. J’étais un peu comme ça aussi, je passais beaucoup de temps dehors », avoue-t-il. Cette proximité offre de formidables portraits : cet ado, allongé au soleil sur du carrelage, les yeux fermés, un poste de radio posé sur le ventre. Ces scènes très touchantes et intimistes de jeunes enlacés sur la moquette, ou sur un lit, des exemplaires de la revue satirique Mad au sol : « Il faut passer beaucoup de temps avec les gens. Peu à peu, ils apprennent à vous connaître. Sur ces photos, ils ne font que vivre leur vie, ils n’ont pas honte de ce qu’ils sont », explique-t-il.
On est touché par les clichés de « Didi », un jeune prostitué de Times Square qui joue à l’équilibriste dans les rames du métro new yorkais où il retrouve ses amis. « C’était vraiment un bon garçon. Maintenant tout est différent, Times Square est devenu Disneyland. Mais à cette époque, il y avait des garçons prostitués d’un côté, des filles de l’autre, des travestis plus loin… C’était ça Times Square », raconte Stephen Shames.
« Je préfère les gens aux paysages »
L’homme regarde désormais ces clichés avec nostalgie. « Aujourd’hui, le Bronx s’embourgeoise de plus en plus. J’y vais parfois pour voir ce qu’il s’y passe. Il y a encore des quartiers pauvres, mais beaucoup d’endroits sont maintenant occupés par des artistes et des familles », décrit-il.
Partout à travers le monde, Stephen Shames a été nourri par cette volonté de transmettre, donner à voir. « La plupart des gens vivent dans un petit cocon. Le rôle d’un photojournaliste est de leur montrer ce qu’il se passe ailleurs. Notre planète est composée de pleins d’univers différents », illustre-t-il avant d’ajouter avec amusement : « Parfois je me sens comme dans Star Trek, partant à la découverte d’un nouveau monde pour en ramener des photographies. »
S’il est depuis passé à la couleur et réalise moins de reportages, le photographe de 73 ans garde un souvenir précieux de ces premiers sujets. « C’est un travail important pour moi. Je continue de prendre ce genre de photos, j’ai toujours préféré les gens aux paysages », admet-il.
Par Michaël Naulin
Galerie Esther Woerdehoff
Du 29 janvier au 7 mars 2020
36 rue Falguière, 75015 Paris
Entrée Libre : mer. – sam. 12h – 19h
Les photographies sont en vente