Yann Datessen a parcouru les pays sur les traces d’Arthur Rimbaud. « Rimbaud fut un génie écrit le photographe, personne ne le conteste, Rimbaud tout autant fut un salaud, une putain infernale, un enfant qui a vomi dans le cresson très tôt, un homme seul, seul comme aucun autre homme n’a été seul avant lui, un explorateur dont le courage confinait au suicide. Rimbaud trafiquant d’armes ? Oui aussi, peut-être même un assassin, prolo entêté et contremaître lunatique, Rimbaud a été à peu près tout ça, parfois même son contraire. »
Le photographe fait partie « de ce qu’on appelle la Rimbardie ». Comme tout membre de cette communauté qui se respecte, un jour ou l’autre il a traîné à Charleville-Mézières, Bruxelles ou Marseille… « Sauf qu’un matin », raconte-t-il, « sans trop savoir pourquoi, j’ai ressenti l’impérieuse nécessité de tout voir, d’aller partout où il était possible de trouver du Rimbaud, Rimbaud surement comme prétexte, prétexte à la marche, l’éloignement, la perdition. »
De 2016 à 2020, Yann Detessen va photographier les établissements scolaires et militaires des Ardennes pour portraiturer des adolescents de tout horizon : collèges plus ou moins aisés des centres-villes, lycées techniques ou agricoles en périphérie, casernes, structures de réinsertion professionnelle, peu importe. « Parce que faire l’inventaire des gamins de la région était, me semblait-il la meilleure façon de matérialiser une ombre, je n’avais pas encore compris que l’ombre était l’inverse de l’image et que revenir avec quelques regards, une moue parfois, une moue d’ardennais, ne suffisait pas. »
Il traverse ensuite l’Europe : La Belgique, le col de Saint-Gothard, Londres, l’Italie et descend jusqu’en Afrique, en Éthiopie pour ensuite revenir à Marseille où le poète est mort. « J’ai respecté la chronologie avec laquelle Rimbaud a lui-même traversé ces différentes régions du monde. Dans l’ordre : de ses premières fugues ardennaises jusqu’aux dernières explorations abyssiniennes, je me suis tenu au déroulé de sa vie. Il me semblait fondamental d’expérimenter par le corps la progression vers le vide, des bavardages en ville jusqu’au vertige définitif du désert. » Lors de ces voyages, il lui est arrivé parfois de s’adresser à quelqu’un tout haut, « surtout lors des moments de découragement ou en arrivant devant les hauts-lieux rimbaldiens, ces lieux longtemps fantasmés, je ne saurai vous dire si c’était “lui” (Arthur Rimbaud) ou quelqu’un d’autre. »
Dans son ouvrage AR, le photographe dresse une série composée de paysages, de portraits, de natures mortes. « Pour donner du rythme à ma série avant tout : alterner des intensités de regards avec des contemplations, des apartés avec des tentatives d’objectivités, des vanités avec des horizons. Aller fouiller dans les trois grands genres de l’image fixe cela permet aussi une narration plus vaste, d’envoyer des rhizomes, explorer les sous-sols du sujet. » De Rimbaud, le mystère perdure, mais avec ses images, ces « contrensens rimbaldiens » Yann Datessen a traversé des continents, rencontré l’autre « et s’il ne devait rester qu’une seule chose, à coup sûr ce serait (…) marcher, marcher à l’ombre, parce que marcher c’est ne pas s’assoir, ne pas s’assoir c’est l’essentiel ».
AR de Yann Datessen publié par les éditions Loco, 96 pages, 35€