Dans le monde de l’art, l’heure est à la redécouverte des femmes. Grandes oubliées de l’histoire, au mieux, on les relie à une figure masculine, au pire, elles tombent dans l’oubli. Tina Modotti ne fait pas exception à la règle. Photographe et activiste politique d’origine italienne, elle est l’une des grandes figures féminines de la photographie. Pourtant, il faut attendre 1973 pour que son nom sorte de l’ombre. Les Rencontres d’Arles en 2000 avaient contribué à la faire connaître pour la première fois en France. 23 ans après, le Jeu de Paume offre une rétrospective sans précédent, mettant en lumière l’œuvre de Modotti. Du portrait aux natures mortes, en passant par la photographie documentaires, près de 240 tirages retracent la carrière unique de cette photographe et militante révolutionnaire.
Avant même d’entrer dans le Jeu de Paume, l’affiche de l’exposition déployée sur les bannières extérieures capture l’esprit révolutionnaire de Tina Modotti. Cette image emblématique, intitulée « Femme au drapeau », est l’une des plus célèbres de l’artiste On y voit une femme d’origine populaire se draper dans le drapeau de la révolution, une sorte de mise en scène militante qui rappelle la Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix.
Amour et révolution
Fille d’une couturière et d’un mécanicien, Tina Modotti n’a que 16 ans lorsqu’elle traverse l’Atlantique pour aller à San Francisco. L’Amérique lui ouvre les bras et elle y exerce de nombreuses professions : couturière, mannequin, actrice… En 1921, à Los Angeles, elle fait une rencontre qui bouleverse le reste de sa carrière. Edward Weston. Le couple s’installe au Mexique en 1923. Débute alors une collaboration artistique, mais surtout une histoire d’amour. Modotti, habituellement devant l’objectif, s’initie à la discipline de la photographie aux côtés de Weston.
Si on la relègue souvent au rang « d’associée de Weston », ou encore de son amante, Tina modotti se distingue progressivement de son « maître », adoptant un style plus naturel et refusant le formalisme. Défendant une photographie engagée, elle apporte une dimension résolument politique à l’héritage moderniste de Weston. Ses photos reflètent les réalités sociales, telles que la représentation de la maternité ouvrière, ou la remise en question du capitalisme. Tout est affaire d’allégorie. Ainsi une cartouchière, un épi de maïs et une guitare disposés à la manière d’une nature morte deviennent le symbole d’un pays en lutte.
Isabel Tejeda Martín, commissaire de l’exposition, qualifie son regard d’« incarné » : un regard hérité de ses origines socialistes, avant tout tourné vers l’humain. C’est au Mexique post-révolutionnaire que Tina Modotti affirme son esprit anticonformiste. En plein essor artistique et politique, l’atmosphère enflammée du pays est un terreau fertile pour son engagement social et politique. Qu’elle capture les mouvements sociaux ou les injustices, on y voit avant tout des Hommes, opprimés, marginaux, qui s’unissent pour la même cause.
De l’art de s’opposer
Selon Isabel Tejeda Martín, si Tina Modotti n’apparaît que tardivement dans l’histoire de la photographie c’est probablement pour trois raisons : d’une part, son statut de femme, de l‘autre, celui de photographe, un domaine longtemps considéré comme une sous-discipline artistique, et surtout, son adhésion au Parti communiste mexicain (PCM). Tina Modotti évolue dans le cercle très politisé des artistes d’avant-gardes. Elle devient la principale photographe officielle du muralisme mexicain, un mouvement artistique et révolutionnaire dont l’activiste et artiste Diego Rivera est la figure de proue. Elle collabore ensuite avec diverses publications et revues communistes, telles que Mexican Folkways, Horizonte, Forma ou El Machete, la publication historique du Parti communiste du Mexique.
Ses contacts étroits avec Diego Rivera, ainsi qu’avec Xavier Guerrero, dessinateur, graveur et surtout leader du PCM, lui valent d’être expulsée du Mexique en 1930. Réfugiée à Berlin, elle est incapable de vivre de son art. Son activisme politique prend peu à peu le dessus sur sa pratique de la photographie. Après une halte à Moscou, puis en Espagne en pleine guerre civile où elle s’affirme en tant que coordinatrice du congrès antifasciste, elle regagne le Mexique en 1939. C’est là, dans son pays d’adoption, qu’elle s’éteindra trois ans plus tard, emportée par une crise cardiaque. On retiendra d’elle, d’une part, sa voix et sa présence sur le terrain pour défendre les droits des travailleurs et des opprimés, de l’autre, son œil révolutionnaire, outil de changement social, incarnant la convergence de l’art et de la politique. Car plus qu’une photographe, Tina Modotti était une militante.
Tina Modotti : l’œil de la révolution, au Jeu de Paume (Paris), du 13 février au 12 mai 2024.