Derrière sa couverture ornée de feuilles d’or et d’inscriptions dorées, l’Encyclopædia de Weronika Gęsicka abrite pas moins de 200 sections : animaux incroyables, massacres notoires, inventions spectaculaires, villes intraçables, figures surnaturelles…
Une collection de faits divers illustrée par des preuves : des images d’archives ne laissant aucune place au doute. Pourtant, et comme le rappelle la photographe, « la manipulation de la réalité n’est pas un phénomène moderne ». Sur les pages, les histoires récoltées sont en fait factices, issues d’anciens dictionnaires ou d’encyclopédies truffées d’erreurs.

« J’ai d’abord découvert les “paper cities”, ces villes qui n’existent que sur les cartes, ajoutées sur celles-ci pour rendre toute tentative de plagiat évidente. Je me suis ensuite intéressée à la dimension humoristique de la désinformation – les trouvailles de Wikipédia, par exemple – ainsi qu’aux publications plus mystérieuses, comme les 150 biographies d’Appletons’ Cyclopædia of American Biography, datant du 19e siècle. L’explication la plus logique ? Les éditeurs étant payés au paragraphe, l’appel du profit les poussait à inventer des détails pour gagner plus », raconte-t-elle.

Les fake news existent depuis toujours
Ces quelques centaines de récits inspirent l’artiste, qui voient en eux la possibilité de laisser parler sa propre créativité : « un mélange de réel et d’imaginaire qui provoque, malgré tout, un sentiment d’inconfort », précise-t-elle. Jouant avec le collage comme avec l’intelligence artificielle, Weronika Gęsicka compose des images « légitimes », illustrations innocentes d’anecdotes rocambolesques.
Pourtant, certaines d’entre elles sont incomplètes, inversées, dupliquées, fracturées entre deux pages. Elles nous gênent, nous invitent à reconsidérer la véracité des informations qui les accompagnent. « La nature du médium photographique est particulièrement adaptée à la manipulation. Et s’il me manquait des archives, l’IA comblait les trous, renforçant, au passage, le propos de mon livre tout en pointant du doigt la possible illégitimité qu’annonce une absence de source sous une image », explique-t-elle.

De ses créations émerge alors une illusion, destinée à vivre grâce au réalisme de sa représentation. En filigrane, Weronika Gęsicka nous rappelle que les fake news existent depuis toujours. « Si la technologie d’aujourd’hui donne naissance à des formes de manipulation plus répandues et sophistiquées, elle nous fournit également les clés nous permettant de les percer à jour », nous dit-elle.
Alors, avec humour, l’autrice s’empare de ses outils pour révéler au lecteur un paradoxe : plus une photographie paraît réelle, plus elle nous invite à essayer d’y déceler la fiction qu’elle nous cache.

Encyclopædia, de Weronika Gęsicka est disponible chez Blow Up Press au prix de 85€.