Un mensonge encyclopédique, par Weronika Gęsicka

Publié par Blow Up Press, Encyclopæedia illustre les informations trouvées dans divers dictionnaires. Une manière pour son autrice, Weronika Gęsicka de questionner, avec humour, la véracité de ces publications.

Derrière sa couverture ornée de feuilles d’or et d’inscriptions dorées, l’Encyclopædia de Weronika Gęsicka abrite pas moins de 200 sections : animaux incroyables, massacres notoires, inventions spectaculaires, villes intraçables, figures surnaturelles…

Une collection de faits divers illustrée par des preuves : des images d’archives ne laissant aucune place au doute. Pourtant, et comme le rappelle la photographe, « la manipulation de la réalité n’est pas un phénomène moderne ». Sur les pages, les histoires récoltées sont en fait factices, issues d’anciens dictionnaires ou d’encyclopédies truffées d’erreurs.

Jungftak, (n.) a Persian bird, the male of which had only one wing, on the right side, and the female only one wing, on the left side; the male had a hook of bone, and the female an eyelet of bone, and it was by uniting hook and eye that they were enable to fly. © Weronika Gęsicka. Courtesy of BLOW UP PRESS
Jungftak, (n.) oiseau persan dont le mâle n’avait qu’une aile, du côté droit, et la femelle qu’une aile, du côté gauche ; le mâle avait un crochet d’os, et la femelle un œillet d’os, et c’est en unissant le crochet et l’œillet qu’ils étaient capables de voler. © Weronika Gęsicka. Avec l’aimable autorisation de BLOW UP PRESS

« J’ai d’abord découvert les “paper cities”, ces villes qui n’existent que sur les cartes, ajoutées sur celles-ci pour rendre toute tentative de plagiat évidente. Je me suis ensuite intéressée à la dimension humoristique de la désinformation – les trouvailles de Wikipédia, par exemple – ainsi qu’aux publications plus mystérieuses, comme les 150 biographies d’Appletons’ Cyclopædia of American Biography, datant du 19e siècle. L’explication la plus logique ? Les éditeurs étant payés au paragraphe, l’appel du profit les poussait à inventer des détails pour gagner plus », raconte-t-elle.

Chaozhouxieye, a Chinese brand of leisurewear, best known for their plastic open toe slippers or flip-flops. The brand has cult status due to its unusual name and because of the difficulty which Anglophones have in pronouncing it. © Weronika Gęsicka. Courtesy of BLOW UP PRESS
Chaozhouxieye, une marque chinoise de vêtements de loisir, surtout connue pour ses pantoufles en plastique à bout ouvert ou ses tongs. La marque jouit d’un statut culte en raison de son nom inhabituel et de la difficulté qu’ont les anglophones à le prononcer. © Weronika Gęsicka. Avec l’aimable autorisation de BLOW UP PRESS
Argusto Emfazie III, an occultist and mystic of the 1970s. © Weronika Gęsicka. Courtesy of BLOW UP PRESS
Argusto Emfazie III, occultiste et mystique des années 1970. © Weronika Gęsicka. Avec l’aimable autorisation de BLOW UP PRESS

Les fake news existent depuis toujours

Ces quelques centaines de récits inspirent l’artiste, qui voient en eux la possibilité de laisser parler sa propre créativité : « un mélange de réel et d’imaginaire qui provoque, malgré tout, un sentiment d’inconfort », précise-t-elle. Jouant avec le collage comme avec l’intelligence artificielle, Weronika Gęsicka compose des images « légitimes », illustrations innocentes d’anecdotes rocambolesques.

Pourtant, certaines d’entre elles sont incomplètes, inversées, dupliquées, fracturées entre deux pages. Elles nous gênent, nous invitent à reconsidérer la véracité des informations qui les accompagnent. « La nature du médium photographique est particulièrement adaptée à la manipulation. Et s’il me manquait des archives, l’IA comblait les trous, renforçant, au passage, le propos de mon livre tout en pointant du doigt la possible illégitimité qu’annonce une absence de source sous une image », explique-t-elle. 

Stone louse, endemic rodent belonging to the Lapivoren family, the existence of which was documented only recently (1983). © Weronika Gęsicka. Courtesy of BLOW UP PRESS
Pou de la pierre, rongeur endémique appartenant à la famille des lapivores, dont l’existence n’a été documentée que récemment (1983). © Weronika Gęsicka. Avec l’aimable autorisation de BLOW UP PRESS

De ses créations émerge alors une illusion, destinée à vivre grâce au réalisme de sa représentation. En filigrane, Weronika Gęsicka nous rappelle que les fake news existent depuis toujours. « Si la technologie d’aujourd’hui donne naissance à des formes de manipulation plus répandues et sophistiquées, elle nous fournit également les clés nous permettant de les percer à jour », nous dit-elle.

Alors, avec humour, l’autrice s’empare de ses outils pour révéler au lecteur un paradoxe : plus une photographie paraît réelle, plus elle nous invite à essayer d’y déceler la fiction qu’elle nous cache. 

The Hinckley Band of Thieves, originated in around 1532 A.D. in Great Britain. It was led by Fredric Hinckley. The band was mostly made up of family members. Some of the members left to the America. © Weronika Gęsicka. Courtesy of BLOW UP PRESS
La bande de voleurs de Hinckley a vu le jour vers 1532 en Grande-Bretagne. Elle était dirigée par Fredric Hinckley. La bande était principalement composée de membres de la famille. Certains de ses membres sont partis pour l’Amérique. © Weronika Gęsicka. Avec l’aimable autorisation de BLOW UP PRESS

Encyclopædia, de Weronika Gęsicka est disponible chez Blow Up Press au prix de 85€.

Vous avez perdu la vue.
Ne ratez rien du meilleur des arts visuels. Abonnez vous pour 7$ par mois ou 84$ 70$ par an.