Chaque année en avril, la ville de Bordeaux se métamorphose en un lieu d’exploration artistique alors que le mois de la Photo prend ses quartiers. Pensé comme un parcours mettant en avant des artistes émergents ainsi que des figures établies de la scène bordelaise, l’événement transforme la ville en une véritable galerie à ciel ouvert. Sur les berges de la Garonne à Bordeaux, le Frac Méca et son architecture monumentale n’a pas échappé à ce rendez-vous culturel.
Le Frac Méca, dédié spécifiquement à la région Nouvelle-Aquitaine, incarne une volonté de soutenir la création artistique contemporaine locale tout en favorisant les échanges culturels à l’échelle nationale et internationale. Et quoi de mieux qu’une commande photo pour mettre en valeur le territoire ? Suivant les traces de la DATAR, qui en 1983 lançait une commande photographique visant à documenter le développement des régions françaises à travers des images capturées par des photographes professionnels, Gilles Mora décide de célébrer la Nouvelle-Aquitaine à travers un regard photographique.
Cette fois, les 9 artistes n’ont pas eu carte blanche : ils ont été guidés par un comité scientifique -composé d’experts en géographie, sociologie et urbanisme- qui a défini les thématiques explorées. Ces dernières traitent aussi bien de la ruralité que de l’aspect écologique, ou encore des migrations, de l’identité et de la rencontre interculturelle, à l’image de la série de Maitetxu Etcheverria. Basée à Bordeaux, la photographe s’est concentrée sur la Bidassoa, le fleuve côtier du Pays basque qui marque la frontière entre la France et l’Espagne. Mettant en dialogue paysages et portraits, elle diffuse la parole à des personnes qui traversent cette frontière dans l’espoir d’une vie meilleure.
Maitetxu Etcheverria n’est pas la seule à mettre en lumière les voix souvent marginalisées. Bruno Serralongue s’est ainsi emparé d’un sujet souvent négligé par les médias traditionnels. Faisant état d’une démarche engagée, il s’est plongé au cœur des communautés apprenantes : des cercles d’amateurs et d’amateurs qui se réunissent pour partager des connaissances, des compétences et des expériences dans des domaines divers tels que l’environnement, l’artisanat et la culture. Plus que de mettre en avant la région, son travail suscite une réflexion critique dans un contexte de mondialisation croissante.
Si chaque artiste a traité son sujet en arpentant une grande région de la Nouvelle Aquitaine, celui qui l’a le plus parcouru est assurément Hicham Gardaf. Basé à Londres, il a entrepris un périple le long des routes côtières et frontalières, capturant l’essence même des paysages néo-aquitains. Tout est vide et silencieux : on croirait contempler les images d’un confinement. Des devantures surannées aux panneaux délabrés, il offre une vision authentique des bourgades de la région, saisissant les aspects ordinaires d’une France rurale, méconnue des visiteurs étrangers.
L’exposition explore une variété de médiums artistiques, allant de la photographie à la vidéo en passant par les installations, offrant ainsi aux artistes la possibilité d’exprimer leur créativité à travers différents formats. Certains ont choisi des approches novatrices pour mettre en valeur les réalités souvent méconnues du territoire. Valérie Mréjen a ainsi décidé d’utiliser le format de la carte postale pour éclairer les aspects souvent négligés de la région. De son côté, Noémie Goudal a repoussé les limites des reliefs et des perspectives à travers des photographies imprimées en anamorphose, donnant vie aux monts pyrénéens d’une manière unique.
L’installation de Tatiana Lecomte revêt quant à elle une dimension plus personnelle et introspective, plongeant dans les profondeurs enfouies de l’histoire régionale. L’artiste d’origine franco-allemande, est née à Bordeaux et vit à Vienne depuis 25 ans. Reliant son histoire individuelle à la grande histoire, elle est partie à la recherche des anciens camps d’internement du régime de Vichy. En parcourant ces sites chargés d’histoire, comme le camp de Mérignac-Beaudésert et le camp de Gurs, Lecomte capture les traces visibles et invisibles du passé. Une recherche documentaire que l’artiste complète avec des éléments autobiographiques tels que des photographies de voyages ou des objets d’archives. Fusionnant intime et universel, le travail de Tatiana Lecomte transcende la simple représentation visuelle pour réveiller les souvenirs enfouis et susciter une réflexion sur les questions de responsabilité collective, de justice et de devoir de mémoire.
L’exposition offre ainsi une rétrospective poignante des événements qui ont marqué la région de la Nouvelle-Aquitaine. En 2022, la forêt des Landes, le plus vaste massif forestier artificiel d’Europe, a été ravagée par les flammes, laissant derrière elle des cicatrices profondes sur les sols et les paysages. Dans ce contexte d’urgence climatique, Chloe Dewe Mathews a entrepris de documenter l’histoire, l’évolution et la mémoire de cette forêt emblématique. À travers ses photographies et les vestiges exposés, elle invite le spectateur à méditer sur la relation complexe entre l’humanité et la nature.
Jean-Luc Chapin a également exploré cette relation complexe dans son travail artistique. En cherchant à présenter une perspective alternative sur la ruralité et la vie paysanne, il s’est immergé dans le quotidien d’une famille de louvetiers et a documenté la vie dans un élevage porcin, mettant en lumière le bien-être animal et la coexistence harmonieuse entre l’homme et l’animal. Son esthétique visuelle, caractérisée par des tons et des compositions rappelant l’école de Barbizon, évoque un sentiment pictural profondément enraciné dans le romantisme français du 19ème siècle.
Un œil plus urbain tranche avec l’aspect globalement rural de l’exposition : celui d’André Cepeda. Originaire de Lisbonne, il dévoile les transformations sociales et géographiques de Bordeaux et de ses environs. Amenant une réflexion sur le développement de la ville et sur l’individualisation de nos pratiques en tant que citadins, ses tirages monochromes expriment sa difficulté à se fondre dans le paysage. Le photographe avoue lui-même ne jamais avoir pu travailler sereinement à Bordeaux car il a toujours eu l’impression d’être « rejeté par la ville elle-même » . Dans ses images, le spectaculaire est banni. Faisant état d’une certaine prise de distance avec le Bordeaux plutôt bourgeois et rutilant que l’on voit habituellement, pour lui préférer les aspects souvent négligés de la vie urbaine.
Exposition du 5 avril au 6 octobre 2024, Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA, 5 parvis Corto Maltese 33 800 Bordeaux.