Si vous n’avez jamais envisagé de vous rendre au Japon, ces images pourraient vous faire changer d’avis. L’entrée d’un sanctuaire, isolé au milieu d’un lac. Un arbre solitaire dans un paysage enneigé. Un oiseau blanc qui s’y fond. Les photographies de Michael Kenna sont aussi polies et élégantes que les Japonais. Il y utilise à merveille l’eau, la terre et les plantes pour nous rappeler à quel point notre planète est belle lorsque nous en prenons soin et que nous l’habillons avec délicatesse. En réalité, Michael Kenna photographie les paysages du monde entier depuis plus de 50 ans. Ses explorations approfondies et ses images du Japon, qu’il a visité pour la première fois en 1987, sont peut-être ses œuvres les plus remarquables et les plus connues.
Blind s’est entretenu avec le photographe pour parler de son histoire d’amour avec ce pays fascinant.
Pourquoi avez-vous choisi le Japon comme terrain de l’un de vos projets ?
D’une certaine manière, le Japon m’a choisi, dans la mesure où j’ai été invité à Tokyo pour une exposition et la publication d’un livre en 1987. J’ai l’impression que c’était hier, et pourtant cela fait étonnamment presque 37 ans. Mes premiers souvenirs sont ceux d’une promenade dans les rues orangées du quartier de Meguro à Tokyo, au milieu de la nuit, légèrement hébété, mais bien réveillée par le décalage horaire. Tous les magasins étaient fermés, mais des montagnes de marchandises gisaient sans surveillance sur les trottoirs, devant des portes et des fenêtres fermées, apparemment à l’abri du vol. Cela m’a semblé surréaliste à l’époque, et ça l’est encore aujourd’hui.
Je me suis souvenu d’une expérience bien des années plus tard: un jour, j’ai laissé par inadvertance mon appareil Hasselblad, mon objectif, mon dos et mon photomètre sur le banc d’un parc public à Kumamoto, Kyushu. Je m’en suis rendu copte quelques heures plus tard, après avoir parcouru des kilomètres pour me rendre dans un autre endroit. J’ai été horrifié de voir que mon guide ne semblait pas s’en préoccuper, pas le moins du monde perturbé ! Il m’a assuré que mon équipement ne risquait rien. Il avait raison, bien sûr, car nous étions au Japon, et mon appareil photo, après avoir été remis à un gardien du parc, attendait gentiment que je le récupère.
Qu’aimez-vous particulièrement dans ce pays ?
J’aime des paroles immortelles du poète Rumi : « Laissez-vous guider silencieusement par ce que vous aimez profondément. Cela ne vous égarera pas. » Tout simplement, je trouve le Japon étonnant, spectaculaire, profondément mystérieux et irrésistiblement attachant. Physiquement, le Japon présente des similitudes avec mon pays d’origine, l’Angleterre : relativement petit, habité depuis des siècles, entouré d’eau, chaque parcelle de terre et chaque segment de côte est chargé d’histoires et de récits riches. Au Japon, on constate et on ressent un respect, une révérence et un honneur conscients à l’égard de la terre. Ce respect est souvent symbolisé par les omniprésentes portes torii vermillon, qui nous rappellent la croyance shintoïste selon laquelle les divinités et l’univers résident dans la terre, les arbres, les rochers et l’eau, ainsi que dans les sanctuaires et les temples. C’est une croyance qui me tient à cœur.
Dans vos photos, quels sont les éléments que vous cherchez à mettre en valeur ?
Je ne pense pas qu’il soit facile, ni même possible, de définir précisément ce que je photographie. Mon sujet a changé au fil des années en fonction de mon humeur et de mon âge. En général, dans ce monde tridimensionnel, j’essaie d’interpréter ce que j’aime regarder de manière à ce que cet élément devienne visuellement agréable dans un tirage photographique bidimensionnel. Je recherche des sujets présentant des motifs, des abstractions intéressantes et des compositions graphiques. J’aime les endroits qui ont du mystère et de l’atmosphère, renferme une suggestion plutôt qu’une description. Je cherche des souvenirs, des traces, des preuves de l’interaction humaine avec le paysage. Parfois, je photographie la nature à l’état pur, parfois des structures et des scènes urbaines et industrielles.
Avant de photographier un lieu, je me contente de marcher et d’explorer. Je ne sais jamais si je vais rester quelque part durant quelques minutes, quelques heures ou quelques jours. Je pense que photographier revient à rencontrer une personne et à entamer une conversation. Comment savoir à l’avance où cela nous mènera, quel sera le sujet, à quel point cela deviendra intime, combien de temps durera la relation potentielle ? La curiosité et la patience sont des éléments importants de ce processus. À de nombreuses reprises, des images intéressantes me sont apparues à partir d’endroits que je considérais comme inintéressants. L’inverse est tout aussi vrai et pertinent. Après cinquante ans de photographie, j’en conclus qu’il faut renoncer à la notion de contrôle et accepter toutes les surprises. Il n’est pas toujours nécessaire, ni même souhaitable, de contrôler les résultats.
Comment avez-vous voyagé au Japon, combien de fois et pendant combien de temps, pour réaliser cette série de photographies ?
Entre 1987 et 2000, mon exposition au Japon a été principalement urbaine. Je me suis souvent rendu dans différentes villes pour des vernissages d’expositions et des signatures de livres. Les voyages photographiques plus sérieux au cœur du paysage japonais ont eu lieu en 2001, lorsque j’ai commencé à explorer les environs du mont Fuji, le lac Biwa et la côte de la mer du Japon à Honshu. J’ai de très bons amis et associés au Japon, et je voyage généralement avec un ami ou un guide, durant une semaine ou deux. Le fait d’avoir quelqu’un qui parle japonais facilite grandement la logistique. En 2002, j’ai visité Kyushu, Okinawa et d’autres endroits dans le sud. Pour mon cinquantième anniversaire en 2003, j’ai passé un mois à suivre le pèlerinage du temple bouddhiste Kobo Daishi sur l’île de Shikoku. Au cours des 22 dernières années, j’ai essayé de retourner à Hokkaido chaque hiver. Le Japon a été le dernier pays que j’ai visité avant le début de la pandémie de Covid, et le premier après. Selon les écrits du critique d’art Kotaro Iizawa, ces voyages ont semé des graines qui ont fini par s’épanouir en une véritable histoire d’amour avec ce pays magique.
Votre image révélant des oiseaux en vol est-elle un hommage à l’œuvre de Masahisa Fukase ?
J’adore la série Solitude of Ravens de Masahisa Fukase, ces images sont si obsédantes et dramatiques. Je serais absolument ravi de pouvoir prétendre que l’une de mes photos pourrait être considérée comme un hommage conscient à son travail. Hélas, ce n’est pas le cas. Au cours de mes premières années de photographie, j’ai délibérément et consciemment imité le travail des nombreux maîtres qui m’attiraient : Atget, Brandt, Brassai, Giacomelli, Stieglitz, Sudek, etc. Je me suis rendu sur les lieux qu’ils ont photographiés pour mieux comprendre leur vision. Plus je restais dans la photographie, plus je me rendais compte que chacun de nous est le résultat d’une myriade d’influences, certaines connues et d’autres non, ainsi que de notre génétique. Je n’ai découvert Fukase qu’en 1981, lorsque j’ai vu son travail lors d’une exposition à la Stephen Wirtz Gallery de San Francisco. Il ne fait pourtant aucun doute que son travail a influencé le mien. Comment pourrait-il en être autrement ?
Votre série véhicule t-elle un message en particulier ?
Mon message serait celui de la gratitude. Pour la vie, pour l’amour, pour la beauté et la fragilité de ce monde dans lequel nous vivons. Le Japon a une longue et riche tradition de dons réciproques, et j’ai reçu tant de choses avec gratitude pendant toutes ces années. J’espère que ces photographies pourront être considérées comme un hommage permanent au Japon et qu’elles symboliseront mon immense reconnaissance envers son peuple. Cela a été une aventure étonnante jusqu’à présent, qui dure depuis plus de trois décennies, et je souhaite qu’elle se poursuive encore longtemps.
L’exposition « Japan / A Love Story » de Michael Kenna est présentée à la Peter Fetterman Gallery, à Santa Monica, jusqu’au 20 juillet 2024.