Vincent Gouriou est connu pour ses portraits. Depuis plus de dix ans, il photographie des personnes qu’il rencontre, souvent dans un cadre intime. Il s’intéresse à l’identité, à la manière dont chacun habite son corps, sa maison, son territoire. Cette fois, il est parti à la rencontre de celles et ceux qui vivent à la campagne et qui ne rentrent pas dans les normes de genre ou de sexualité.
Le projet s’est construit lentement, entre la Bretagne et le Massif central. « J’ai rencontré des paysans queer. On a pris le temps de se connaître. Il fallait que la confiance s’installe », explique t-il. Le photographe a partagé des journées entières avec ces personnes, a écouté leurs histoires, observé leurs gestes. Puis, au bon moment, il a sorti son appareil photo.

Les images sont magnifiques. Elles montrent des scènes de la vie quotidienne : une main sur la langue d’une vache, un corps nu au milieu des bois, un autre au bord d’un étang. À travers elles, Gouriou révèle la tendresse des liens entre les êtres et le vivant. « Leurs corps sont accordés à celui du vivant : un temps long, ancestral, un rythme calme et continu », décrit-il.
Dans une autre image, une personne tient sur ses épaules un mouton. Ailleurs, une autre presse le pis d’une vache. Vincent Gouriou a aussi le sens de l’esthétique, en témoigne ce remake d’une photo célèbre d’Annie Leibovitz: ici le cou d’un cygne ne s’enroule pas autour de celui de Leonardo diCaprio, mais autour de celui d’un paysan torse nu. Presque plus pertinent que l’originale.

Les images révèlent des moments simples, saisis avec respect. Ce respect, c’est aussi celui du lieu. Chaque portrait est enraciné dans un paysage, une maison, une forêt ou une ferme. Les décors ne sont jamais accessoires. Ils racontent autant que les visages. Ils parlent de solitude, parfois, mais aussi de paix, de liberté, de lien.
Le titre, « Labourage et pâturage », fait bien sûr référence à la célèbre devise d’Henri IV : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France ». Mais ici, elle prend un autre sens. Elle évoque le lien à la terre, le soin, la transmission, mais surtout rappelle que l’on peut être queer et paysan·ne, que l’un n’empêche pas l’autre.
Julie Crenn, qui accompagne le projet par un texte engagé et sensible, écrit : « Ainsi, les hommes photographiés font pleinement. partie d’un écosystème qu’ils ont choisi: celui de la ferme et de ses alentours. Un milieu au sein duquel les corps, humains et plus qu’humains, sont affectés par le vivant, au sens le plus large du terme. La neige, le vent, la pluie, le froid, la chaleur, les arbres, les fruits, les légumes, l’herbage, le foin, les lumières, la terre, tous les ingrédients fondamentaux de ces écosystèmes infusent et influent sur les corps. Une symbiose se fabrique entre les uns et les autres. »


Fin 2024, l’exposition de cette même série de photographies, organisée et présentée à l’Hôtel de Fontfreyde / Centre photographique, à Clermont-Ferrand, était accompagnée d’une bande-son avec les voix des personnes photographiées. On pouvait les entendre raconter leurs parcours, leurs espoirs, leurs doutes. Ces voix donnent encore plus de profondeur aux images. Ce travail, Gouriou l’a pensé à hauteur d’humain. Il ne cherche pas à convaincre, ni à dénoncer. Il observe, écoute, témoigne. C’est cette retenue qui rend les images si justes.
L’exposition « Labourage et pâturage » se tient à la Galerie Obsession à Paris du 5 mars au 5 avril, puis du 29 avril au 17 mai 2025.