Si la photographie est au cœur de la pratique de Viviane Sassen – discipline qu’elle a choisie après avoir étudié la mode –, la production de cette néerlandaise née en 1972 ne cesse d’évoluer formellement de décennie en décennie. Intitulée « Phosphor : Art & Fashion », cette première rétrospective en France réunit quelque 200 pièces issues d’une dizaine de séries. Non chronologique, le cheminement inclut toutes les facettes de son corpus, séries personnelles et travaux pour la mode réalisés dès les années 2000.
La photographe y voit deux aspects distincts de son œuvre comme elle l’explique dans un entretien en 2017, « Dans la mode, je peux exprimer mon côté extraverti ; dans mon travail plus personnel, mon côté introverti ». Pourtant, dans l’exposition les deux corpus ne font qu’un. Se réappropriant ses anciennes images de mode, Viviane Sassen ne les présente pas sous forme de tirages, mais dans des installations immersives. Notamment sous forme de projections dans une salle simulant un podium de défilé de mode où le spectateur est invité à déambuler. Une expérience !
Écrire avec l’ombre
Que ce soit dans ses travaux de commande ou ses séries personnelles, Viviane Sassen imprime son style caractéristique dont la série Umbra (années 2010) est un bel exemple. C’est sur le continent africain, au Kenya notamment, où elle a passé sa petite enfance et où elle est retournée plus tard, qu’elle forge son esthétique. Photographier signifie littéralement écrire avec la lumière. Avec Vivian Sassen, c’est aussi écrire avec l’ombre tant elle joue sur les zones sombres, par exemple avec ses personnages, pour transformer les corps en silhouette.
Une démarche qu’elle applique aux couleurs des vêtements et accessoires, jouant là encore sur des contrastes saisissants, créant un effet de volume, proche de la sculpture. Elle traduit ainsi visuellement des sensations remontant à l’enfance que l’on peut interpréter comme l’entremêlement du réel et de la mémoire. « Ma vie est inimaginable sans l’Afrique. La lumière et l’obscurité. Les couleurs, les gens. La première fois que j’y suis retournée, c’était avec mes parents, dix ans après notre départ. […] J’ai toujours espéré que ces ombres fonctionnent comme un miroir permettant aux gens de réfléchir sur eux-mêmes et, ainsi, d’examiner leurs propres idées préconçues sur l’autre ».
Ses expériences personnelles nourrissent donc son œuvre et nombre de ses travaux se révèlent autobiographiques. C’est le cas d’une de ses séries de jeunesse en noir et blanc remontant aux années 1990 lorsqu’elle est étudiante qui est montrée pour la première fois. Les autoportraits nus qu’elle réalise alors sont pour elle comme un acte de réappropriation de son corps, gagnant alors sa vie comme mannequin : « Je voulais reprendre le pouvoir sur mon propre corps. »
Autre fil conducteur, la récurrence des thématiques du corps, de la mort, de la sexualité et du désir, ce qui ne l’empêche pas de se renouveler. Ainsi, depuis 2017, Viviane Sassen mixe les médias, mêlant peinture et encre, comme dans la série Of Mud and Lotus, ou réalisant des collages (série Paint Studies, 2021).
Le temps passant l’intime reste un axe fort mais elle élargit aussi son point de vue sur le monde, réalisant des travaux où l’animal et le végétal tiennent une place prépondérante (série Modern Achemy, 2022). Le clou de l’exposition est assurément les collages façon cadavres exquis qu’elle réalise à partir de fragments découpés d’anciennes photographies (série Consequences, 2020). Ces œuvres in situ aux formats impressionnants figurant des créatures imaginaires improbables rampant sur les murs de la MEP sont comme autant de fantômes qui hantent le spectateur. Une Viviane Sassen peut toujours en cacher une autre.
Viviane Sassen, « Phosphor : Art & Fashion », du 18 octobre 2023 au 11 février 2024, Maison européenne de la Photographie (MEP).
Livre : Viviane Sassen, Phosphor, anglais et français, design : Irma Boom, 32 x 24, 528 pages, éditions Prestel, 60 euros.