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Yasuhiro Ishimoto, des lignes et des corps

Les expositions et les livres consacrés à Yasuhiro Ishimoto sont trop rares en France pour ne pas se précipiter au BAL, à Paris, afin d’y découvrir l’œuvre de ce photographe américano-japonais méconnu. Une immersion dans un riche répertoire d’images du Japon et des Etats-Unis, issu des premières décennies de la carrière de cette figure charnière de la photographie nippone moderne.

C’est par accident que Yasuhiro Ishimoto devient photographe. Né à San Francisco de parents japonais, il se destine à faire carrière dans l’agriculture. Un projet professionnel brisé par l’attaque surprise de Pearl Harbor, en 1941, qui incite les autorités américaines à arrêter et interner brutalement dans des camps les citoyens d’ascendance japonaise du pays. Ishimoto passera ainsi deux ans en captivité dans le camp d’Amache, dans le Colorado. 

Autorisé à posséder un appareil, il s’initie entre ces murs à la photographie. Une fois libre, il s’installe à Chicago, où il fréquente les cercles de photographes amateurs avant de rejoindre les bancs de l’Institute of Design qui diffuse aux Etats-Unis l’enseignement du Bauhaus, la célèbre école d’art appliqué allemande. Il y assimile la rigueur de la géométrie, l’équilibre des volumes, les jeux de lumière, le rendu des textures et le contraste du noir et blanc. 

Yasuhiro Ishimoto, Chicago, Halloween, 1948-1952 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Chicago, Halloween, 1948-1952 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Chicago, Town, circa 1960 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Chicago, Town, circa 1960 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Chicago, Town, 1959-1961 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Chicago, Town, 1959-1961 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Tokyo, Town, 1963-1970 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Tokyo, Town, 1963-1970 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center

L’exposition du BAL s’ouvre sur ces travaux de jeunesse, marqués par l’ordonnancement des compositions d’Ishimoto, accentuée par l’architecture moderne de Chicago. Déjà, l’artiste fait un pas de côté, en intégrant l’humain dans le cadre géométrique. A l’image de ces silhouettes cadrées de long sur la plage du lac Michigan. Ou de cette autre série de plagistes, composée cette fois uniquement de jambes cadrées à la verticale devant un comptoir.

Cette série de jambes, aux grains de peau, couleur et formes variés, marque les débuts d’Ishimoto en Amérique. Repérée par Edward Steichen, elle sera exposée dès 1953 au MoMA, à New York, avant d’intégrer la collection du musée. « Elle me touche particulièrement », commente Diane Dufour, fondatrice et directrice du BAL, « car elle incarne les mots de John Cage : ‘la structure sans la vie et une chose morte. La vie sans structure est une chose invisible. » 

Une autre image illustre ces mots : on y voit le visage pudique d’une jeune fille noire derrière une fenêtre, dont les contours épousent la courbe du verre fêlé, celui de la fenêtre et de l’image. De cette trouvaille parfaite du double cadre jaillit une grande douceur. Tout le génie d’Ishimoto est là. En introduisant de l’humain dans l’architecture, au milieu du béton brut, du verre et des lignes d’acier, il fait surgir la grâce.

L’esprit de l’exposition est là : faire émerger la naissance d’un regard, ce moment de bascule où l’œil structuré par l’architecture de l’étudiant en art appliqué se mue en regard photographique, intégrant la géométrie du cadre dans la chair du monde organique. C’est « tout le talent d’Ishimoto », constate Diane Dufour, de « construire des compositions abstraites, d’une grande beauté formelle, dans le flux aléatoire de la vie ».

Yasuhiro Ishimoto, Tokyo, Town, circa 1957 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Tokyo, Town, circa 1957 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Tokyo, Little Ones, 1953-1957 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Tokyo, Little Ones, 1953-1957 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Tokyo, Town, 1953-1958 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Tokyo, Town, 1953-1958 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Katsura Imperial Villa, The New Palace and lawn, 1954 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Katsura Imperial Villa, The New Palace and lawn, 1954 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center

Subtil, Ishimoto capte la fragilité et le caractère éphémère du monde : un jeu d’enfants des rues à Chicago, la chorégraphie d’une foule à Tokyo, une empreinte de pas dans la neige au Japon. Quel que soit le sujet, il place le vivant au centre de l’architecture. Jusque dans ses dernières prises de vue de la ville impériale Katsura, près de Kyoto, dont il saisit la modernité organique : le motif géométrique d’une poutre, les colonnes de bois, les allées de pierre. 

Il fallait un écrin à la hauteur pour accueillir cette série d’images éthérées, la plus célèbre de sa carrière. Le scénographe du lieu, Cyril Delhomme, a conçu un dédale de cloisons blanches aux lignes pures, faisant écho aux grands panneaux en papier de riz et aux lignes franches de la villa, qui rappellent les toiles de Mondrian. Un décor sobre et efficace, dans l’esprit du Bauhaus, qui parvient à s’effacer en même temps qu’il souligne la force des images d’Ishimoto.

Yasuhiro Ishimoto, Chicago, Beach, 1948-1952 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Chicago, Beach, 1948-1952 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Chicago, Little Ones, 1948-1952 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Chicago, Little Ones, 1948-1952 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Chicago, Beach, 1948-1952 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Chicago, Beach, 1948-1952 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center

La préciosité des tirages, réalisés pour la plupart par Ishimoto lui-même dans les années 1950 et 1960 – ne gâche pas le plaisir. Exposés pour la première fois ensemble en-dehors du Japon, ils justifient à eux seuls le déplacement. « Ishimoto est un tireur remarquable », affirme Diane Dufour. S’inscrivant dans la tradition de son mentor à l’Institut of design, Harry Callahan, il offre des objets photographiques d’une rare élégance, « confondants de beauté et de maîtrise ».

« Yasuhiro Ishimoto, des lignes et des corps » est exposé au BAL, à Paris, jusqu’au 17 novembre 2024.

Yasuhiro Ishimoto, Chicago, Beach, 1948-1952 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center
Yasuhiro Ishimoto, Chicago, Beach, 1948-1952 © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center

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