« Je me considère comme très chanceux d’avoir autant de gens qui, d’années en années, m’aident à pousser la folie un peu plus loin », s’étonne encore Michel Tremblay, le directeur général et artistique du festival Zoom Photo. Voilà 14 ans que, chaque année, la commune de Saguenay, située au Nord de la province canadienne du Québec, fait parler d’elle, non pas pour son université de Chicoutimi, ni pour son complexe de fabrique d’aluminium, mais pour la photographie.
A 5 heures de route au Nord de Montréal, au-delà de la ville de Québec et du parc national de la Jacques-Cartier et ses couleurs automnales, Saguenay est devenue un rendez-vous du photojournalisme et de la photographie documentaire. Cette année Zoom Photo expose jusqu’au 29 octobre une vingtaine de photographes avec comme thème transversal « Le vivant dans tous ses états » et sa traditionnelle exposition itinérante World Press Photo.
Le Visa du Nord
Quelques semaines plus tôt, nous croisions le même Michel Tremblay, non pas sous les feuilles d’érables mais à l’ombre des palmiers du festival Visa pour l’image de Perpignan. Là où tout a commencé. Quand le photographe de profession se met en tête de créer un rendez-vous dans le nord du Québec, c’est au festival international du photojournalisme qu’il pense directement. « Je n’étais jamais allé à Perpignan, mais dans les magazines photo, il y avait toujours chaque année une page spéciale Visa », raconte-t-il. Alors le Québecois traverse l’Atlantique pour rencontrer Jean-François Leroy, le directeur de Visa. « Avec des photographes du Québec, on a vu comment ça fonctionnait et on a été introduit dans le monde de Visa. On a ensuite invité en 2010 Jean-François et Agnès Grégoire (NDLR. directrice de PHOTO Magazine, décédée début octobre). Ils sont venus pour donner un peu le sceau d’approbation Visa. C’est devenu, comme Jean-François le disait, le “Visa du Nord”. »
Mais pourquoi avoir installé le 1er festival de photojournalisme du Québec en région, bien au Nord des grandes villes comme Montréal ou Québec ? « Parce que toutes les planètes étaient alignées pour le faire ici. Jacques Fortin était directeur de la Pulperie (NDLR. lieu principal d’exposition du festival) et était aussi président de l’arrondissement de Chicoutimi », détaille Michel Tremblay, originaire du coin et qui, avant Zoom Photo, avait déjà développé des rencontres photographiques dans la région.
Dès le départ, le petit cousin québécois a tout de suite de l’ambition. « On voulait faire un festival ambitieux avec des photographes de partout dans le monde. On a fait des coups audacieux, mais on a toujours été capable de livrer les promesses qu’on faisait aux photographes », souligne le directeur.
En plus d’une sélection de qualité parmi les photographes présentés, le coup de maître a été, dès la première année, de convaincre le World Press Photo d’y installer son exposition itinérante.
Le prestigieux concours annuel présente les photographies primées dans plus de 18 pays et 60 villes. Au Canada, il s’expose à Montréal, Ottawa, Toronto et… Saguenay – Petite frayeur cette année, les 126 photos lauréates sont arrivées un jour après l’ouverture du festival car restées bloquées un temps aux douanes canadiennes en raison d’un problème d’acheminement depuis Amsterdam-. Zoom Photo demeure ainsi, encore aujourd’hui, le plus gros festival dédié au photojournalisme et à la photo documentaire du Canada.
Comme à la maison
Adrienne Surprenant (MYOP), Corey Arnold, Francisco Proner (Agence VU’), Anush Babajanyan (Agence VII), Natalya Saprunova (agence Zeppelin)… comment expliquer que cette folle aventure née au fin fond du Québec attire chaque année autant de photographes qui courent la scène internationale ? Le secret réside déjà dans une équipe d’une trentaine de bénévoles, passionnés, qui se mobilisent chaque année pour donner vie à l’évènement à travers le Groupe Photo Média International (GPMI), organisme à but non lucratif co-fondé par Michel Tremblay dont l’objectif est de « soutenir la création artistique, de diffuser des œuvres, de faire rayonner la photographie d’auteur actuelle et de faire évoluer sa pratique sous toutes ses formes et supports ».
L’autre recette du succès réside dans la taille relative du festival qui offre pour les photographes un cocon familial, dans un cadre naturel exceptionnel. « Ce n’est pas une grosse machine de guerre et en même temps, ça reste quand même un festival conséquent pour la région et pour le pays », résume le photographe Mathias Depardon qui pose pour la première fois les pieds au Canada. Séduit par l’invitation il a accepté d’exposer en avant-première sa série en cours Moving Sand sur l’industrie mondiale du sable.
« Zoom Photo a amené une plateforme qui n’existait tout simplement pas au Québec », ajoute, au sortir d’une des conférences du festival, Alexis Aubin, jeune photographe québécois et habitué de l’événement. Sa première participation remonte à 2012 et y expose régulièrement ses travaux. « Avec le temps, le festival devient plus mature et les relations avec l’extérieur sont constamment en croissance, ce qui fait la force du rendez-vous. Et en même temps il ne se dénature pas et garde son essence », salue-t-il.
Andrea Olga Mantovani ne cache pas non plus son enthousiasme de venir présenter son projet réalisé au cœur de la Białowieża, l’une des dernières forêts primaires d’Europe qui a donné lieu au livre S’enforester. « Ce verbe vient de l’ancien français et était utilisé par les trappeurs du Québec. Le fait d’exposer ici, non loin du parc national des Monts-Valin, prend tout son sens », s’enthousiasme la photographe qui ne boude pas son plaisir de profiter de la nature environnante.
Inscrire Zoom Photo dans la durée
Mais la pérennité d’un festival, d’autant plus dédié à la photo documentaire, n’est pas un long fleuve tranquille. Malgré près de 18 000 visiteurs l’année passée et un total de 200 000 depuis la première édition, Zoom Photo n’échappe pas à la réalité économique du milieu. Comme ses cousins des Rencontres d’Arles, de Visa pour l’image ou de La Gacilly, la course aux partenaires et aux subventions est relancée chaque année. « Le budget est d’un peu plus de 200 000 $ par an, c’est toujours un combat chaque année pour trouver des subventions. L’année prochaine, nous fêterons le 15ème anniversaire. Il va donc falloir trouver plus de partenaires pour marquer le coup », annonce le directeur.
Si l’avenir est toujours synonyme d’incertitudes, le festival peut déjà se féliciter de son rôle important de sensibilisation et d’éducation à l’information auprès des écoles et lycées de la région, de la notoriété croissante de son rendez-vous et de sa reconnaissance dans le milieu. Il peut compter aussi sur le développement éclair du tourisme de croisière dans la baie du Saguenay – les retombées économiques sont estimées cette année à plus de 40 millions de dollars -. Le Queen Mary II et ses 4 000 passagers et membres d’équipages était justement en escale lors de la première semaine de Zoom Photo. Une aubaine pour un festival qui rêve grand et bien.
14e édition du Zoom Photo Festival de Saguenay (Québec), « Le vivant dans tous ses états », jusqu’au 29 octobre 2023.
En lien avec le festival : Habiter avec les mondes – Fragments sur le vivant, par Christiane Gagnon, 60 $Ca.