Sortir son paquet de cigarettes. Prendre une clope. Un bruit métallique. CLAC. Voici l’appareil photo espion “Kiev 1978” dissimulé dans un paquet de cigarette factice. Un attrape-touristes pour les occidentaux en visite en Ukraine pendant la Guerre froide.
Ce genre d’appareil, la collection de Federico B., ingénieur né à Genève, en abonde. Mais il y a bien plus intéressant, bien plus fascinant dans ce trésor de près de 2 000 boîtiers allant du début des années 1900 jusqu’à 1980 qu’il a bien voulu faire découvrir à Blind.
Cette collection est un héritage. « Mon père nous a quittés subitement à l’âge de 80 ans, il y a deux ans, c’était un grand collectionneur », raconte-il. Comme un hommage adressé à son père, ancien ingénieur au CERN (Conseil européen pour la recherche nucléaire), le fils a décidé de faire vivre cette impressionnante collection d’appareils, qui s’ajoute à d’autres séries de radio-réveil, voitures miniatures, postes de radio…
« Ce sont des collections qui peuvent parfois donner le tournis», avoue Federico. Alors il a bien fallu mettre le nez dans ce livre ouvert sur l’histoire de la photographie. Et depuis septembre, le projet 99 Cameras Club a vu le jour.
50 ans de collection
Sur des étagères, quelque part en Ile-de-France, trône quelques centaines de boîtiers – le reste de la collection est entreposé en Suisse – tous uniques dans leur genre. Des grands, des petits, des mini, des tout en métal ou en plastique… Comme un enfant qui ouvre un coffre à jouets, on est happé dans cette étagère des merveilles.
« Cette sélection n’est pas une série des meilleurs appareils du monde, je ne la présente pas comme une histoire de la photographie, par contre, elle est centrée autour d’un collectionneur qui a fonctionné au coup de cœur. C’est une collection qui est le résultat de cinquante ans de pérégrination », explique Federico, se remémorant les journées passées à écumer les marchés aux puces avec son père.
Le projet 99 Cameras Club a pour but de partager l’histoire qui se cache derrière une sélection d’appareils de la collection. 99 précisément. Depuis le 15 septembre, jour de l’anniversaire de son père, Federico publie sur les réseaux sociaux et sur son site un appareil par jour avec son histoire et ses caractéristiques. Passionnant. « Pour moi c’est aussi une façon de passer du temps avec mon papa. Il est parti soudainement et en me plongeant dans son monde, j’ai la chance de garder ce lien. »
De l’appareil espion à la canette appareil photo Coca-Cola
Plonger dans cette collection c’est découvrir des objets d’une beauté certaine et surtout d’une ingéniosité folle. Federico nous sort ses petits bijoux.
Comme le MinoxRiga, une caméra espion de Lettonie, de 1937, aussi grande qu’un briquet. Le modèle a été rendu populaire par James Bond et George Lazenby qui utilise un Minox A III dans Au Service de sa Majesté (1969). Appareil préféré des services de renseignement du monde entier, le Minox était réputé pour sa petite taille et sa capacité de mise au point macro. «Ce sont les témoins d’un monde qui n’existe plus. C’était la très haute technologie de l’époque», détaille le désormais passionné.
Un de ses préférés : un appareil utilisé par le KGB. « Le KMZ Ajax-12 utilise un mécanisme d’horlogerie à ressort, qui permettait aux agents de prendre une série de prises de vue sans avoir à rembobiner manuellement le film, il était très discret, fait pour résister à tout, et protéger les clichés à tout prix… », explique-t-il.
Un appareil miniature qui se cache dans la cravate, une montre appareil photo, les ancêtres de la GoPro accrochés à l’arrière des terribles avions allemands Stuka…, tous ces appareils racontent l’Histoire.
La collection regorge aussi de véritables pièces d’orfèvre. En atteste le Compass de la maison horlogère suisse Jaeger-LeCoultre, de 1937. « Pour moi c’est l’appareil le plus dingue que j’ai jamais vu ! Il était tellement compliqué qu’il fallait un horloger pour en réaliser le mécanisme », détaille Federico en manipulant le boîtier d’aluminium à la finition renversante et aux caractéristiques qui feraient palir les numériques d’aujourd’hui : filtres intégrés, une languette pour connaître la bonne ouverture, un pare soleil télescopique… Un bijou.
D’autres appareils au design léché sont de véritables objets de mode comme le Bantam Special de Kodak, introduit en 1936 aux Etats-Unis. Un style purement art déco, pensé par le designer Walter Dorwin Teague. On retrouve aussi les mini Rolleiflex, de la taille d’un briquet, les très tendances et colorés Kodak Petite de la série vest pocket. Et plus original encore, le modèle Ginfax et son boitier en forme de canette de Coca-Cola…
La collection comporte aussi les grands classiques de Leica comme le Leica I, également connu sous le nom de modèle A. Des boîtiers copiés à maintes reprises, notamment par les soviétiques « à la différence qu’ils étaient conçus comme étant l’appareil photo du peuple ».
Difficile de calculer la valeur précise de ce fonds même si son père a tenu un registre précis des différents achats. Federico B. est devenu en tout cas avec le temps un fin connaisseur de cette grande famille d’appareils photos. « Une fois qu’on plonge dedans on ne s’en sort plus ! », nous avoue-t-il.
Avoir sa propre « collection digitale » d’appareils photo
Mais le projet 99 Cameras Club ne s’arrête pas à la simple répertorisation de ces boîtiers iconiques. Ingénieur dans les “collectibles digitaux” – des objets de collection numériques garantis uniques par des certificats numériques d’authenticité, les fameux NFT -, Federico compte s’appuyer sur les nouvelles technologies pour valoriser cet héritage précieux. « J’aimerais proposer une carte de membre et faire un NFT par appareil pour que les gens puissent créer leur propre collection digitale », explique-t-il.
Il faut dire que le marché de la photographie a déjà intégré celui des NFT. L’AFP (Agence France Presse) vient par exemple de vendre ses premières photos en NFT, adjugées pour près de 15 000 euros, dont 7 500 euros pour la simple photo du politique américain Bernie Sanders assis et portant des moufles, devenue virale sur Internet.
Mais ici le but n’est pas de faire de l’argent. Federico veut proposer un « contenu plaisir » pour des passionnés de photo « comme on collectionne des cartes Pokémon » et financer la vie de la collection qui va déboucher sur un livre et une possible exposition pour « raconter l’histoire de chacun des appareils qui racontent eux-mêmes une époque ».
Chaque “collectible digital” contiendra des médias exclusifs d’un appareil et permettra à son propriétaire de participer à la vie de la collection. La distribution commencera dès que les 99 appareils auront été révélés sur le site, soit début 2023. Il sera aussi possible, en obtenant l’une des 99 cartes spéciales de membre, de recevoir plusieurs “cartes” au hasard, pour ainsi commencer sa collection.
Avec le 99 Cameras Club, Federico souhaite lancer une dynamique de partage avec le site Internet et les réseaux sociaux « qui ne s’adresse pas exclusivement aux passionnés experts mais à un public plus large de curieux », insiste-il. « L’emploi d’un format très visuel et de technologies innovantes comme les NFT vise à intéresser un public plus jeune et nativement digital mais qui paradoxalement s’intéresse de plus en plus à la photographie argentique. »
Retrouvez toute la collection sur le site internet de 99 Camera Club et sur la page instagram.