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Alex Prager: « Vous devez mourir pour renaître »

Avec « The Mountain », Alex Prager nous emmène « au sommet » dans une série de portraits témoignant d’une libération cathartique.

Alors que le monde se précipitait vers la deuxième année de la pandémie, une faible lueur d’espoir apparaissait à l’horizon. Avec la découverte d’un vaccin et l’éviction de Donald Trump aux Etats-Unis, beaucoup espéraient des jours meilleurs. Malheureusement, l’année 2021 ne s’est pas tout à fait déroulée de cette façon. Avec l’émergence de nouveaux variants plus contagieux qui ont fait des ravages dans un système de santé au maximum de ses possibilités, un leadership médiocre voire inexistant, des campagnes de désinformation et des messages bâclés des CDC (Centers for Disease Control and Prevention), le peuple américain a dû se débrouiller seul pour faire face à la « nouvelle » normalité.

En quête d’une certaine forme de stabilité, la photographe et cinéaste américaine Alex Prager a commencé à beaucoup écrire. Connue pour ses mises en scène élaborées qui insistent sur le côté dramatiquement surréaliste de la vie quotidienne, Prager déclare : « Je voulais trouver quelque chose qui ne soit pas dépendant des autres. Je ne voulais pas être balayée tel un grain de poussière par le vent, dépendante de nouvelles commandes ou découvertes. Je voulais simplement contrôler ma vie. J’ai pu exprimer beaucoup d’émotions, de frustrations et de questions que je me posais et les mettre par écrit. »

Alex Prager, Eclipse, 2021 © Avec l’aimable autorisation du Studio Alex Prager et Lehmann Maupin, New York, Hong Kong, Séoul, et Londres

Consciente de la nécessité d’adapter à la fois sa vie et son art, Alex Prager a abandonné sa méthode de travail avec une équipe et un casting importants pour revenir au portrait, un genre qu’elle a exploré à ses débuts, dans une démarche de libération. « Dans une certaine mesure, je crée ce que je vis et mes sentiments à l’égard de ce que je vis se retrouvent dans mon travail », explique-t-elle. 

Avec sa nouvelle exposition, « Part One: The Mountain », Prager nous emmène dans un voyage extraordinaire au bord du précipice pour explorer ce qui se passe lorsque nous allons au-delà de ce que nous pensons pouvoir supporter. Prager présente ici une collection d’archétypes américains qui ont atteint le sommet de la montagne proverbiale et peuvent enfin exprimer ce que cette frontière signifie vraiment, laissant aller leur corps tout entier et cédant à la puissante expression émotionnelle qu’ils portent depuis trop longtemps.

Les gens du 21e siècle

Alex Prager, qui est originaire de Los Angeles, comprend très bien le caractère cinématographique de notre existence. Avec des détails hyperréalistes, elle mêle des genres classiques tels que la comédie, l’horreur, le thriller, le mystère, l’action, l’aventure et le fantastique pour créer des tableaux vivants, et étrangement familiers. Mais les vedettes de l’œuvre de Prager sont toujours les gens eux-mêmes : des personnages curieux, excentriques et attachants qu’il nous semble avoir rencontrés au cours de notre vie.

Alex Prager, High Noon, 2021 © Avec l’aimable autorisation du Studio Alex Prager et Lehmann Maupin, New York, Hong Kong, Séoul, et Londres

Se délectant des qualités idiosyncratiques et des détails relatifs à la fois à l’apparence et l’état d’esprit, Prager célèbre l’excentricité avec le même raffinement que celui habituellement réservé aux marques de « bon goût ». Ses personnages sont glamour, gauches, groovy, loufoques et glorieux – le spectacle américain à son niveau le plus débridé.

La curiosité d’Alex Prager pour les individus venus de tous les horizons se ressent aussi dans « The Mountain », qui met en scène une série de personnages déjà présents dans ses précédents ouvrages, notamment le cow-boy, la femme carriériste et la fêtarde. « Les archétypes me permettent d’utiliser un protagoniste familier pour raconter ces histoires », explique la photographe, qui s’inspire de « People of the 20th Century » d’August Sanders et de « Small Trades » d’Irving Penn. « J’ai aimé la démocratisation de ces personnages. Le simple fait de les observer augmente notre compréhension, et la compréhension améliore notre capacité à aimer – même si c’est juste un tout petit peu. C’est ce que fait le portrait classique. »

Alex Prager, Mid-Morning, 2021 © Avec l’aimable autorisation du Studio Alex Prager et Lehmann Maupin, New York, Hong Kong, Séoul, et Londres

Le ravissement

Avec « The Mountain », Alex Prager lance également une étude psychologiques explorant les états émotionnels intenses que nous avons connus l’année dernière. « Le fait d’être isolés depuis si longtemps a rendu les gens très désemparés. Ils essaient de se protéger et ont réduit leurs cercles, redéfinissant leurs priorités et repensant leur vie », explique-t-elle. « Cette situation m’a menée à l’idée symbolique de la montagne et à la façon dont elle est utilisée dans les récits depuis des siècles. Dans la mythologie grecque, c’est un endroit où les gens se rendent seuls lorsqu’ils sont aux prises avec quelque chose qui les dépasse. J’y ai vu un lieu où l’on peut mourir spirituellement et renaître. »

Utilisant la montagne comme un symbole à la fois de pèlerinage sacré et de défi physique, Alex Prager nous amène au sommet pour un moment d’intense révélation et de libération. La joie, l’euphorie, le choc, le déni, la confusion, l’insécurité, le désarroi, la peur, la dévastation, le chagrin, l’abandon et l’espoir – ces états viscéraux et intangibles, nous pouvons les partager, quelles que soient nos croyances.

Alex Prager, Dawn, 2021 © Avec l’aimable autorisation du Studio Alex Prager et Lehmann Maupin, New York, Hong Kong, Séoul, et Londres

Dans les périodes de stress extrême et d’incertitude, les émotions deviennent des forces à part entière, qui nous emportent littéralement dans un tourbillon, nous font tourner en rond et nous dépassent par la seule ampleur de leur intensité. « Je voulais capturer ces personnes dans une sorte d’émotion presque convulsive, si bien que nous ne savons pas vraiment s’ils sautent, flottent ou tombent », explique Prager. « Une seconde, je me sens comme si j’allais m’en sortir et la seconde d’après, je suis en larmes et je me demande ce que l’avenir nous réserve. Cela a été très déroutant, et j’ai voulu faire passer tout cela dans ces moments suspendus. »

Un monde dans lequel la vie vaut d’être vécue

Bien que nos personnalités soient naturellement complexes, une exposition prolongée au stress et aux traumatismes peut entraîner des pensées sombres. Victimes de l’opportunisme en politique, de dérives idéologiques, de campagnes de désinformation et de théories du complot, certains peuvent commencer à percevoir le monde comme « nous contre eux » – exacerbant davantage les schismes que l’on constate aujourd’hui aux États-Unis.

« On a connu beaucoup d’obstacles émotionnels lourds à surmonter et je pense que cela a poussé les gens à choisir leur camp », explique Alex Prager. « Cette polarisation n’est pas naturelle, mais c’est ce qui s’est passé parce que nous sommes dans cet état d’anxiété depuis deux ans. Personne ne nous dit de vérité durable, alors nous avons dû le faire nous-mêmes. Les gens choisissent un camp qu’ils pensent être le meilleur pour leur survie et cela leur donne un point d’ancrage, mais je ne pense pas que cela soit représentatif de qui ils sont. C’est un état très artificiel. »

Alex Prager, Twilight, 2021 © Avec l’aimable autorisation du Studio Alex Prager et Lehmann Maupin, New York, Hong Kong, Séoul, et Londres

Plutôt que de parler de « retour en arrière », Prager parle d’aller de l’avant et d’imaginer à quoi ressemblera ce monde post-pandémie. « Vous devez mourir pour renaître et c’est ce que représente pour moi “The Mountain”. Je souhaite que ce soit amusant, beau et utile », dit-elle. « Dans bien des domaines, nos dirigeants nous ont laissé tomber, surtout les jeunes. Ils ne proposent aucune espèce d’avenir qui vaille la peine de se battre et d’avancer. L’avenir est tellement sombre. Avec le changement climatique, nous détruisons la terre et cela a beau être vrai, nous ne donnont pas envie aux générations futures d’y vivre. C’est la responsabilité des artistes de créer une vision du monde dans lequel il vaut la peine d’exister. »

« Part One: The Mountain » d’Alex Prager est présentée chez Lehmann Maupin à Londres jusqu’au 5 mars 2022.

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