Le premier homme sur la Lune, le salut au drapeau, la bille bleue, le lever de Terre, les deux coups de golf… autant de photographies passées à la postérité. C’est à travers ces moments les plus importants de l’histoire spatiale que le Britannique Andy Saunders nous convie dans Apollo Remastered. Une odyssée photographique inédite qui retrace onze missions Apollo, de 1961 à 1972, avec 300 clichés numérisés, retraités, restaurés.
Une sélection issue des 35 000 négatifs conservés précieusement au froid dans un bâtiment du Centre spatial Johnson, à Houston, Texas. Car la plupart des images que nous connaissons ont toujours été des copies d’orignaux pour éviter toute dégradation. Aujourd’hui, il nous les révèle pour la première fois sous leur meilleur jour dans ce magnifique ouvrage, offrant un regard complet sur cette grande épopée humaine et l’évolution de la photographie spatiale depuis plus de soixante ans.
Destination… Lune !
Le 20 juillet 1969, 22 h 56 (heure américaine), Neil Armstrong devenait le premier homme à fouler ce satellite de la Terre. À la vue de ces images incroyables, c’est la révélation pour le jeune Andy Saunders qui, comme tant d’autres, s’est épris de l’Espace et du programme Apollo. Un instant gravé qui ne l’a jamais quitté.
Depuis lors, cet écrivain scientifique de 48 ans a façonné son parcours et relié les domaines qu’il aime, comme la photographie, en devenant l’un des plus grands restaurateurs d’images numériques de la NASA. C’est en 2019, dans le cadre du cinquantième anniversaire de ce moment historique, qu’il atteint cette consécration, avec l’image « la plus claire » jamais obtenue de l’astronaute américain sur le sol lunaire.
C’est par ce rêve absolu devenu réalité, né du discours mythique « We choose to go to the Moon » du président John Fitzgerald Kennedy, prononcé le 12 septembre 1962, que s’ouvre ce beau livre, publié aux éditions du Chêne.
« Je suis un obsessionnel depuis mon enfance », explique Andy Saunders. « J’aimais tout ce qui pouvait voler, mais les fusées étaient le nec plus ultra, et la Lune, la destination ultime. J’ai toujours voulu en savoir plus sur ceux qui ont contribué à ce voyage, les fusées, les engins spatiaux, et je voulais en voir davantage et imaginer ce que ce serait d’entreprendre cette traversée moi-même. »
Apollo Remastered sonde ainsi la photographie spatiale sous tous ses angles et dans toute sa complexité. L’auteur fait des rappels constants sur les premiers objectifs de la NASA. Car rien n’avait pour vocation à devenir historique ; le médium n’étant pas dans les priorités des relations publiques. Pourtant, ce qui en découle, ce sont des images « qui transcendent la simple documentation factuelle ».
Souvenirs impérissables
Saunders ouvre ainsi sur les missions Mercury et Gemini qui préfigurent le programme avant de démarrer à partir d’Apollo 7, inaugurant les vols habités en octobre 1968. C’est-à-dire après l’incendie tragique d’Apollo 1 qui a coûté la vie à l’équipage. Toutes les missions sont ensuite couvertes, jusqu’à la 17, qui a amerri en décembre 1972.
Contempler la courbure de la Terre, observer « la Lune à 100 km », regarder la Terre si colorée et l’Espace à l’encre noire, déceler les empreintes laissées sur « un corps céleste intact depuis 4,5 milliards d’années »… Son travail de restauration avant / après offre ainsi à voir des photos bluffantes de précision, de clarté, de netteté. Au point qu’elles donnent l’impression d’avoir été prises aujourd’hui. « Plusieurs centaines d’images distinctes sont empilées, alignées et retraitées pour produire un résultat au plus proche d’une photographie classique, révélant des détails ignorés durant un demi-siècle », indique-t-il dans l’introduction.
Les astronautes Walter Cunningham (Apollo 7), Rusty Schweickart (Apollo 9), Fred Haise (Apollo 13) et Charlie Duke (Apollo 16) font partie des intervenants, qui ont évalué les images en concordance avec leurs souvenirs, racontant leur choc ressenti face à cette rencontre.
À l’exemple de Schweickart (1935-) : « Ce qui ressort vraiment, à part la beauté pure de la Terre, c’est l’éclat de l’atmosphère à l’horizon ; vous savez, cette ligne bleue irisée, et son contraste avec le noir. Il y a aussi le contraste net entre ce spectacle et l’absence de bruit ; c’est le vide, il n’y a pas d’air qui siffle à vos oreilles et, les radios étant activées par la voix, lorsque personne ne parlait, c’était le silence total […] Et cette ligne d’horizon est très mince ; c’est une ligne très, très impressionnante […] Quand vous réalisez ce qu’est cette belle ligne bleue et ce qu’elle représente, c’est une prise de conscience étourdissante. »
Quand on demande à Andy Saunders quelle a été son épiphanie tout au long de ce processus, il répond sans ciller : « Rien ne surpassera le moment où j’ai créé l’image d’Armstrong sur la Lune car aucune photo aussi claire n’existait. C’est parce qu’il tenait l’appareil et que les images que nous voyons sont de Buzz Aldrin. Mais il a été capturé sur un “film” de moindre qualité et de petit format. J’ai eu l’idée d’appliquer cette technique d’empilement inhabituelle au film 16 mm et je n’arrivais pas à croire au résultat. C’était comme si j’étais revenu en 1969 et que je vivais ce moment historique en direct. Personne n’a jamais vu cet instant aussi clairement, à l’exception d’Aldrin, qui regardait depuis la fenêtre du module lunaire. »
Onze missions, des avancées, un bond de géant !
Chaque voyage s’appuie ainsi sur les précédents, ce qui permet d’entrevoir ici nettement leur progression à tous les niveaux. Apollo 8 représente ainsi la mission qui fournit au monde les premiers clichés du globe terrestre, pris par un être humain, avec l’un des plus iconiques : Le lever de Terre (Earthrise).
C’était en 1968, et comme le rappelle l’auteur, elle venait clore une année tumultueuse de violence, d’agitation politique et d’injustice sociale aux États-Unis. Le commandant de vol, Frank Borman, aujourd’hui âgé de 94 ans, évoque dans son souvenir l’un des milliers télégrammes reçus : « Merci Apollo 8, vous avez sauvé 1968 ! »
Apollo 9 offre le magnifique portrait en clair-obscur restauré de l’astronaute James McDivitt, décédé le 13 octobre 2022 à l’âge de 93 ans, et qui honore la couverture du livre. Apollo 10 est une répétition générale avant cette grande page de l’Histoire et celle qui prévoit la première émission télévisée en couleur et en direct de l’Espace.
Apollo 11 assoit enfin le pari fou de JFK, qui promettait de décrocher la Lune sept ans plus tôt, et atteint l’apothéose avec une photographie légendaire et les deux phrases mythiques de Neil Armstrong (1930-2012) : « Houston, ici la base de la Tranquillité. L’Eagle s’est posé », suivi quelques heures plus tard de « C’est un petit pas pour un homme, un bond de géant pour l’Humanité ». Buzz Aldrin clôt cet apogée avec un « Magnifique désolation », avant de planter le premier drapeau américain sur un sol extra-terrestre.
De son côté, Apollo 13 symbolise l’exploit du sauvetage d’un équipage, composé de James Lovell (1928-), John Swigert (1931-1982) et Fred Haise (1933-), dont les tribulations ont été transposées au cinéma par Ron Howard, avec Tom Hanks, Kevin Bacon et Bill Paxton. Il s’accompagne d’une phrase devenue tout aussi célèbre : « Houston, nous avons un problème. » Un moment fort qui a ravivé l’intérêt du public américain, scotché à sa télévision, attendant fébrilement le retour de l’équipage, coupé de toute possibilité de communication pendant près d’une minute et demie, avant l’amerrissage de la capsule dans le Pacifique.
Apollo 14 est celle qui montre les images d’Alan Shepard (1923-1998), premier Américain dans l’Espace, jouer deux coups de golf insolites sur la surface lunaire. « Si quelqu’un m’avait demandé avant le vol “Serez-vous ému en regardant la Terre depuis la Lune ?,” j’aurais répondu “Non, pas du tout.” Pourtant, lorsque j’ai vu pour la première fois la Terre, debout sur la surface de la Lune, j’ai pleuré », a-t-il déclaré des années plus tard.
Quant à Apollo 17, cette ultime mission bat de nombreux records. Surtout, elle crée l’image la plus « demandée dans les archives de la NASA » et la plus « reproduite de tous les temps » : La bille bleue (Blue Marble). La sensation d’Eugene A. Cernan (1934-2017), dernier homme à avoir foulé le sol de poussière grise, donne un ton plus décontracté et existentiel : « J’étais là, à 400 000 km de la Terre, allongé dans un hamac dans une petite boîte de conserve… [en pensant] “Me voilà, je suis vraiment sur la Lune. Que devrais-je faire que je ne fais pas ? Comment en tirer parti ? Est-ce réel ? Est-ce un rêve ?” »
Hasselblad et la NASA
Tout subjugue au fil des 450 pages, jusqu’au chapitre passionnant consacré à l’évolution du médium autour des trois programmes, plongés dans une compétition féroce entre l’URSS et les États-Unis. « Avec Mercury, la photographie spatiale est née. Avec Gemini, elle a lutté pour atteindre sa maturité, de sorte que la photographie spatiale Apollo nous donne à vous et à moi, ainsi qu’au monde entier, l’occasion de tendre la main et de presque toucher la Lune », résume Richard W. Underwood (1927-2011), alors chef du service photographique de la NASA pour Mercury, Gemini et Apollo.
Saunders fait ensuite place aux matériels de prise de vue entre appareils, objectifs, téléobjectifs et pellicules. John Glenn (1921-2016) est le premier astronaute à prendre l’initiative d’acheter un appareil photo à 40 $ (35 mm Ansco Autoset de Minolta) pour la mission Mercury-Atlas 6. L’analyse de cette section met surtout en exergue leur passion pour ce médium « d’intérêt général ». C’est en 1967 que le pilote et astronaute Deke Slayton (1924-1993) soumet « la première demande officielle d’intégration de la photographie dans l’entraînement des astronautes ». Ils reçoivent alors un Hasselblad pour s’entraîner chez eux.
Cette partie développe plus avant l’équipement entre techniques et fonctionnements via cette collaboration historique entre Hasselblad et la NASA, à la pointe de la technologie photographique. Tout est ensuite passé en revue : l’importance des différentes sources de lumière, le rendu des couleurs et les ajustements pour améliorer les détails dans cette restauration, comme réduire les reflets sur les visières des astronautes pour mieux révéler leur visage.
De la même manière, la surface lunaire est analysée via les photos d’empreintes de bottes de Buzz Aldrin ou encore via la nécessité des séquences panoramiques et la manière dont elles ont été réalisées. « Vous savez, quand vous reviendrez, vous serez un héros national, mais ces photos, si vous en prenez de bonnes, elles vivront pour toujours… », conseillera d’ailleurs le clairvoyant Richard W. Underwood.
Missions Artemis : retour sur la Lune
Apollo Remastered se fait ainsi le guide suprême de la photographie spatiale. Une sortie propice pour les fêtes de fin d’année. Mais plus encore à l’heure de la nouvelle conquête de la Lune avec le lancement du programme Artemis et de la visée de Mars. « L’imagerie Artemis sera bien sûr très différente de celle de nos premiers voyages vers la Lune », précise Saunders.
« À l’ère du numérique, nous pouvons capturer un nombre presque illimité de photographies, mais à l’époque, nous étions limités à seulement 200 par magazine. Une autre différence clé est que nous n’aurons pas besoin d’attendre que les astronautes reviennent sur Terre pour voir les images incroyables. Nous aurons une diffusion en direct 4K, un champ de vision à 360 degrés, des images activées par la réalité virtuelle. »
Une pensée qu’il poursuit sur ces futures missions lunaires dont l’objectif est d’établir une présence humaine durable sur ce satellite naturel et en orbite d’ici la fin de la décennie.
« J’espère que la photographie d’utilité publique sera plus à l’ordre du jour que lors d’Apollo, et que nous nous souviendrons de la photo de la première femme sur la Lune ! Pour autant, Artemis et la photographie numérique peuvent-ils vraiment correspondre à la romance des vieux films analogiques capturant cette époque pionnière et dorée des années 1960 ? Cela reste à voir. »
Dans ses prochains projets, Andy Saunders poursuit son voyage personnel à gravité zéro et prépare un ouvrage prequel sur Gemini (dix vols). « Les astronautes ont utilisé un Hasselblad Superwide Camera (SWC), dont les images ont un look vraiment unique. Une photographie exceptionnelle qui sera centrée cette fois sur notre belle Terre, plutôt que sur la spectaculaire Lune. »
Apollo Remarested, Andy Saunders, 300 images, 456 pages, 18 dépliants couleur, Éditions du Chêne, 85 €, 2022.