En mai dernier, The Guardian a fait la une de la presse en annonçant une modification de sa charte rédactionnelle. Le journal n’emploierait plus, désormais, de termes tels que « changement climatique » et « réchauffement climatique » pour décrire la dégradation écologique. Afin de mieux communiquer la gravité de la situation, il parlerait de « crise climatique » et de « surchauffe climatique ». Cette décision était sans précédent dans l’industrie des médias.
Cinq mois plus tard, le journal a annoncé une autre nouveauté dans son approche des sujets liés au climat, mais elle a beaucoup moins retenu l’attention. Cette fois, c’était le style des images publiées dans le journal qui était censé changer. « Souvent, quand on communique aux lecteurs un article relatif à la question de l’environnement, on pense immédiatement à l’illustrer par l’image d’un ours polaire sur une banquise amincie, mais ce n’est pas nécessairement le bon choix », écrit Fiona Shields, iconographe du journal. « De telles images reflètent un aspect de la crise climatique, mais elles peuvent sembler lointaines et abstraites – comme si le problème ne concernait pas l’homme, et n’était pas particulièrement urgent. » Les lecteurs, dit encore F. Shields, « sont réceptifs aux images et aux articles mettant en scène des êtres humains ». À cette fin, le journal montrerait « moins d’ours polaires et davantage de gens » pour illustrer la crise climatique.
Dans une certaine mesure, F. Shields a raison : pour mieux couvrir la crise, les iconographes auraient dû surmonter, depuis longtemps, leur fixation sur les ours polaires et mettre en évidence l’impact dévastateur de cette crise sur les humains. Dans ce contexte, la décision du Guardian semble débloquer un statu quo. Mais cette approche présente un danger, et les iconographes des autres journaux doivent prendre garde à l’éviter à leur tour.
Pour obtenir des conseils sur la manière d’améliorer son iconographie relative au climat, The Guardian a fait appel à Climate Visuals, une entreprise qui a interrogé des milliers de personnes aux États-Unis et en Europe sur leurs réactions aux illustrations visuelles du changement climatique. En conséquence de ces entretiens, Climate Visuals a proposé sept « principes de base » pour améliorer son iconographie environnementale, notamment : « Communiquer de nouvelles informations » et « Se méfier des images exprimant la désapprobation ». Mais le principe le plus important est de « Mettre en scène davantage d’êtres humains. »
« Un langage visuel plus diversifié et axé sur l’homme, prenant en compte les différentes conséquences du climat sur notre santé, notre bien-être, ainsi que l’impact des nouvelles technologies à faible émission de carbone révolutionnerait la manière dont nous voyons le changement climatique », déclare Adam Corner, directeur de Climate Visuals, dans un entretien avec le magazine Columbia Journalism Review. Un article de la BBC à propos de Climate Visuals illustre la perspective de Corner. Il présente deux photos côte-à-côte, l’une d’un récif de corail décoloré et l’autre d’un scientifique en combinaison de plongée investiguant l’impact du changement climatique sur les coraux. Une double légende signale que l’on a démontré le « moindre impact » de la première image par rapport à la seconde.
Ce qu’avance Climate Visuals est, sans aucun doute, exact. Il est parfaitement logique, étant donné l’anthropocentrisme sans vergogne de la culture dominante, que le consommateur d’informations moyen ne se soucie guère de la destruction de la nature à moins qu’elle n’ait de conséquences sur les hommes, d’une manière ou d’une autre. Les principes énoncés par Climate Visuals admettent tacitement que l’anthropocentrisme est un aspect de notre nature, et flattent celui-ci en faisant, du changement climatique, ce que Corner appelle « une affaire humaine ».
C’est une erreur. La vision anthropocentrique du monde n’est pas intrinsèquement humaine, mais plutôt un développement historique assez récent, qui est étroitement lié à la logique du capitalisme industriel. Cette vision du monde est, en fait, l’origine de notre crise écologique actuelle. Quand les hommes ont commencé à croire qu’ils étaient les êtres vivants les plus importants, il ont pris le droit de détruire, pour leur propre profit, toutes les autres créatures de la planète. Le changement climatique est l’une des conséquences de ce comportement.
L’équipe de Climate Visuals serait sans doute d’accord pour affirmer que la photographie n’est pas tout bonnement au service de l’opinion publique, mais plutôt un outil puissant pour façonner les comportements. En conséquence, pourquoi ne pas l’utiliser pour combattre le mythe dévastateur selon lequel l’homme est au centre de l’univers? Le changement climatique est évidemment causé par les hommes, mais ses conséquences ne se limitent pas aux hommes – ou aux ours polaires, d’ailleurs. Si la photographie environnementale élargissait sa palette, n’illustrait pas seulement la destruction des hommes et de leurs communautés, mais aussi d’une grande variété de plantes, d’animaux et d’écosystèmes, nous aurions une image plus claire de la crise climatique ; mais cela aiderait également à promouvoir un nouveau type de culture, capable de remédier à cette crise.
The Guardian est peut-être le signe que les médias se trompent de voie, en passant d’une iconographie du changement climatique excluant les hommes à celle qui exclut tout de l’image à l’exception des hommes. La meilleure approche – qui est absente, pour le moment, de l’industrie des médias – consisterait à reconnaître que tous, êtres humains, ours polaires et autres vivants sont dans le même bateau.
Par Jordan Teicher
© Annie Spratt