Le photographe Ruber Osoria est originaire de Contramaestre, dans l’état de Santiago de Cuba, situé à l’extrémité est l’île. La ville tire son nom du fleuve où se sont abreuvés trois des hommes les plus influents de l’histoire cubaine : Carlos Manuel de Céspedes, connu sous le nom de « Père de la Patrie » pour ses actions durant la guerre d’indépendance de Cuba, le philosophe révolutionnaire et théoricien politique José Martí, ainsi que Fidel Castro.
Né en 1992, Ruber Osoria est l’enfant unique d’une agricultrice célibataire. « J’ai passé toute mon enfance dans la ferme de ma mère où elle cultivait du maïs, des pommes de terre, des haricots, du manioc des citrouilles, et élevait aussi quelques poulets, des canards et un ou deux cochons », se souvient-il. « Mes premiers jouets ont été des plantes et des animaux. J’ai eu une enfance heureuse jusqu’au jour où un ouragan a dévasté notre maison. »
En grandissant, Osoria s’entoure de poètes, musiciens, rockeurs, rappeurs et artistes muralistes. « J’ai toujours cherché une manière d’exprimer la colère qui m’habite : le fait que mon père m’ait abandonné quand j’étais bébé, l’émigration de mon grand-père et d’autres membres de ma famille aux États-Unis, et la perte de ma maison. »
Il se sert d’un appareil photo pour la première fois lors d’une tournée de Metastasis, un groupe de rock local qui l’invite à couvrir ses concerts à travers Cuba pour des festivals de musique tels que Sounds of the City, Rock de la Loma et Metal Hg. « Je me suis laissé guider par ma seule intuition », dit-il. « À l’époque, je ne connaissais rien à la photographie. Je me suis lancé, j’ai pressé le déclencheur d’un vieil appareil Sony qui semblait être en train d’agoniser. »
Destin
Osoria a trouvé un moyen idéal pour s’exprimer, mais il manque de fonds pour acheter son équipement. « J’étais un photographe sans appareil photo », raconte t-il. La nécessité étant la mère de l’invention, il trouve une solution. Il économise de l’argent pour pouvoir étudier la photographie en ligne dans un cybercafé. « Un jour, j’ai lu des informations sur le cadrage et la composition. Et j’ai exercé mon regard en parcourant les rues et en cadrant les images que je jugeais bonnes avec un rectangle en carton. », dit Ruber Osoria.
Venue des États-Unis pour lui rendre visite, la famille d’Osoria lui offre un iPhone 6, qui devient son tout premier appareil photo. Mais il lui en faut plus à et, en 2018, il prend la décision radicale d’émigrer de son pays natal avec pour seul objectif, de travailler pour acheter un vrai appareil photo. « J’ai vendu tous mes biens pour quitter Cuba », dit-il.
Ruber Osoria n’a pas de destination précise. « A l’époque, je pensais que n’importe quel pays valait mieux que Cuba. », dit-il. Du 28 juin au 19 juillet, Osoria entreprend ce qui deviendra un voyage de près de 6500 km à travers l’Amérique latine. Il fait sa première halte à Georgetown, en Guyane, pays où les Cubains peuvent entrer sans visa, et par lequel passent donc la plupart des émigrés qui se rendent aux États-Unis.
Grâce à une application, il rentre en contact avec un groupe de trafiquants d’êtres humains en Guyane et au Brésil. « Ils m’ont demandé mon passeport et ont pris une photo pour l’envoyer aux gens que j’allais rencontrer en cours de route. Il leur fallait aussi 1400 $. J’avais 2250 $ cachés un peu partout sur moi, dans mes chaussures, mon pantalon, etc. Je suis arrivé à Lethem, en Guyane, extrêmement nerveux et effrayé », explique Ruber Osoria, se remémorant les histoires de migrants volés, assassinés et tués pour ces groupes de passeurs.
De Guyane, les trafiquants conduisent Ruber Osoria à la frontière du Brésil. Il traverse le Brésil et le Pérou, avant d’arriver au Chili. Le voyage est éprouvant, il manque d’être abandonné dans le désert, subit des agressions physiques et verbales. « En marchant dans le désert, j’ai vu toute ma vie défiler sous mes yeux, de mon enfance à mon âge adulte », se souvient l’homme. « Je ne pouvais plus supporter le danger et la peur auxquels j’étais confronté tout au long de ce voyage. Je ne sais pas comment les Latino-Américains traversent cet enfer et ont le courage d’aller aux États-Unis. J’ai décidé de rester au Chili sans argent ni endroit où passer la nuit. »
Liberté retrouvée
Ruber Osoria passe sa première nuit au Chili en prison. Le lendemain matin, on lui remet un document que la police internationale doit signer tous les vendredis, et il doit attendre son expulsion pour entrée illégale dans le pays. Dans un bureau d’immigration, Osoria rencontre une Vénézuélienne qui le conduit chez un migrant à Concepcion.
« Le père du migrant a eu pitié de moi et m’a emmené dans une église de réfugiés, où vivaient des Équatoriens, des Haïtiens et des Vénézuéliens », raconte Ruber Osoria, qui passera six mois dans l’église. Il obtient l’aide d’un avocat pour acquérir un visa et un emploi. Il économise alors de l’argent, et réalise enfin son rêve en achetant son premier appareil photo, un Sony Alpha 58.
Ruber Osoria parcourt immédiatement les rues pour y prendre des photos, décelant la beauté et le mystère cachés dans la trivialité de la vie quotidienne. « L’une des choses qui retient le plus mon attention est la force de la mélancolie, de la tristesse, ce sentiment d’être présent et que personne d’autre ne remarque votre présence, la question d’être ou ne pas être », dit-il.
« Dans la rue, je photographie des étrangers en gros plan, cherchant la transcendance dans les gestes vagues, les regards fugitifs, les instants de connexion éphémères qui naissent de la danse fugace des lumières, des couleurs, des ombres et de la présence humaine. Je suis fasciné par les symboles infinitésimaux de la vie émotionnelle, l’être le plus intime des gens, même dans les espaces les plus fréquentés. »
La passion d’Osoria pour la photographie l’a poussé à braver de nombreux dangers, pour enfin trouver l’endroit où il se sent le mieux. Et cet endroit, c’est le Chili, où il s’est installé et a fondé une famille. Cette année, il est devenu résident permanent du pays, une expérience qui a forgé sa vision et sa vocation de photographe. « Cet acte était la preuve que nous sommes capables de réaliser tous nos rêves », dit Ruber Osoria à propos de son voyage. « Peu importe les difficultés et le temps que cela peut prendre, nous devons garder la foi et nous battre pour obtenir ce que nous voulons. »
Par Miss Rosen
Miss Rosen est une journaliste basée à New York. Elle écrit sur l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres, des magazines, notamment Time, Vogue, Aperture, et Vice.