À la vue de ses photographies, tout un référentiel cinématographique jaillit. Le navire de Willy Le Borgne dans les Goonies,Titanic, Master and Commander, Pirates des Caraïbes, Nimitz, Le Crabe-Tambour et tant d’autres films d’aventures et de guerre navales.
Ce regard artistique est celui d’Ewan Lebourdais. Cet amoureux de la mer, de la plongée sous-marine, de la culture nautique et de la photographie maritime capture depuis une quinzaine d’années les multifacettes des grandes constructions mythiques. Son cinquième ouvrage, Carènes Acte II, paru aux éditions Odyssée, en est une excellente entrée en matière
Ewan Lebourdais, les yeux de la mer d’Iroise
Ce virtuose breton, originaire de Rennes et installé à Brest, nous entraîne ainsi à la découverte de cet univers iodé, riche et infini. La « carène » est un terme inconnu du grand public, se dédiant véritablement aux initiés et aux passionnés.
Elle concerne la partie immergée de la coque d’un bateau, en contact direct avec l’eau. Dans le jargon technique, elle relève des « œuvres vives », c’est-à-dire nécessaires à la navigation, à l’opposé des « œuvres mortes », situées au-dessus de la ligne de flottaison.
C’est par cet objet fondamental qu’Ewan Lebourdais nous invite à contempler l’horizon autrement, magnifiant toujours plus l’architecture navale dans ses moindres détails via son travail photographique. « Carènes et Carènes Acte II sont des prétextespour ouvrir sur le monde maritime et montrer l’esthétique de ces bateaux sous différents angles et dans la pluralité des domaines », explique-t-il.
« Quand on est au contact d’un géant d’acier, c’est un moment incroyable, avec ces hélices qui viennent d’être polies par des techniciens au savoir-faire de dingue. Ce n’est pas seulement être au large, c’est aussi être au fond d’un bassin du radoub. Je donne à voir ce qui m’émeut. »
Structures, matières, formes, voiles, rouille… tout est ainsi passé au peigne fin sous l’objectif de ce faiseur d’images qui joue avec les imaginaires. Si Ewan Lebourdais se dit photographe depuis toujours, il s’est investi concrètement à l’ère du numérique, embarquant sur son bateau, avec son matériel chaque année plus conséquent.
Vent en poupe
Pour le quadragénaire, tout est une question d’ambiance, de lumière et d’objet. Deux de ses séries en portent l’étendard. À commencer par Périscopes, qui représente l’un des plus grands défis d’Ewan Lebourdais. Car comme il le formule, il a dû se rendre dans « l’endroit le plus secret de France », mettant en action sa technique de prise de vue « mi-air, mi-eau », née d’un accident photographique :
« J’avais acheté un caisson avec des flashs sous-marins dans l’idée de laisser la mer s’interposer entre le sujet et moi-même. J’ai ensuite pris le contre-pied, passant du 800 mm au 14 mm, pour montrer ce qu’il se passe en profondeur et en surface, et donner l’impression de quelqu’un en train de se noyer. J’ai fait la tentative sur l’Abeille Bourbon, un remorqueur d’intervention à quai. En m’approchant, j’avais oublié l’embrayage arrière de mon bateau et cela a provoqué un effet de vague sur la grosse bulle. J’ai obtenu une image étonnante. J’ai voulu reproduire le processus sur un sous-marin nucléaire. J’ai mis un an et demi à convaincre la Marine nationale et j’ai fait une photo qui a eu un beau retentissement. »
La seconde, Radoub, nous emmène dans les bassins en cale sèche, aussi appelés en forme de radoub, où les navires passent pour l’entretien et la réparation de leur coque. Sous l’objectif d’Ewan Lebourdais, ils se transforment en stars de studio.
« Je crée ma matière le plus possible. En m’installant dans ces lieux, cela me donne très peu de postprod car j’utilise jusqu’à cinq flashs studio puissants et autonomes. Je maîtrise ainsi la lumière. Je travaille souvent entre chien et loup, ce qui me permet de ne pas être pollué par les éclairages artificiels des chantiers, ni par le soleil. »
Et la reconnaissance n’a pas tardé. En 2015, l’un de ses clichés du sous-marin lanceur d’engin Le Terrible a été élu « Photo of the Month » par Nikon. « Ce fut une grande fierté », poursuit-il. « Mais aussi une grande complexité, car cette image n’était pas encore autorisée ni connue par la Marine. Cela m’a permis de les rencontrer. Et de fil en aiguille, je suis devenu réserviste avec la mission de faire rayonner ce monde par la photo maritime artistique. »
Ewan Lebourdais, peintre officiel de la Marine
Page après page, Carènes Acte II dévoile ainsi ses attraits sous la plume poétique de l’écrivain Christophe Agnus, à travers huit univers et plus de cent photographies, prises sous tous les angles, y compris par drone et hélicoptère.
Elles donnent à voir la vision plurielle d’Ewan Lebourdais sur ces beautés navigantes. Il érige le porte-avions Charles de Gaulle, premier et unique bâtiment de combat de surface à propulsion nucléaire construit en Europe occidentale, le transatlantique Queen Mary 2, la goélette La Recouvrance, la frégate Hermione, fameuse réplique du navire de guerre français, ou encore l’authentique Belem, un des plus anciens trois-mâts d’Europe.
Mais l’un des chefs-d’œuvre d’Ewan Lebourdais reste sans doute le sous-marin aux allures de baleine ou d’épaulard, qu’il a immortalisé de face à 400 mètres au 800 mm.
Gigantisme, forces en présence, rapports d’échelle, compositions, alignements et symétries deviennent ses maîtres-mots, lui permettant de traduire « rêves et fantasmes » de manière très créative. Ewan Lebourdais exalte sa passion de la mer qu’il vit en navigant, notamment en planche à voile.
« Ce sport m’a forgé un physique solide. Je suis endurant et je sais mobiliser la force au moment opportun. Quand je porte un 800 mm à main levée dans un petit bateau qui ballote avec 50 km/h de vent et 1 mètre de vagues, il ne faut pas défaillir face au plan à capturer. C’est une aventure maritime. »
Celui qui convoitait alors depuis longtemps le titre de Peintre officiel de la Marine (POM) a atteint son objectif en 2021, dans la catégorie photographe, rejoignant Yann Arthus-Bertrand et Jean Gaumy. « C’est un corps séculaire et prestigieux. Il y a très peu d’élus et c’est la plus belle reconnaissance ! », se réjouit Ewan Lebourdais.
Imaginaire collectif
Ses clichés offrent ainsi plusieurs niveaux de lecture, jouant avec les effets de lumière, les nuanciers de blanc, de gris, de couleurs, entre pastel et aquarelle. À l’exemple du cotre Le Mutin, plus ancien voilier à un mât de la Royale encore en activité, qu’il a pris au 200 mm, désaturant seulement « les bleus, à l’exception de celui du pavillon ».
Mais aussi du légendaire Le Français, un trois-mâts barque, souvent utilisé dans des productions télévisées et cinématographiques, qu’il a capturé lors d’une brève transition de lumière.
Des inspirations qu’il puise dans les ciels et les ambiances maritimes de Turner ou encore dans les lumières de Rembrandt.
« J’essaie de comprendre comment certains ont réussi à avoir cette intuition de la photo, comme Théodore Gudin, qui peignait certaines compositions en 1830 avec l’effet d’un 400 mm. Ou bien Roger Vercel, grand romancier de la mer du début du XXe siècle qui n’a jamais embarqué. En tant que photographe du XXIe siècle, travaillant avec un téléobjectif, ces artistes m’intéressent. »
Pas étonnant que ses images renvoient à tout un imaginaire pictural et cinématographique. Ewan Lebourdais, représenté dans quatre galeries d’art, a d’ailleurs collaboré avec le monde du cinéma, exposant ses grands formats maritimes, et même aéronautiques, en toile de fond.
À l’instar de Boîte Noire avec Pierre Niney et d’un prochain film avec Virginie Efira. Dans ses actualités, cet amoureux de la mer à l’agenda bien chargé et ce, dès le mois de mars. Le prochain livre d’Ewan Lebourdais, Neptune, occupera les étals des librairies, traçant le parcours sur terre, en mer et dans les airs du commando Hubert, l’élite des forces spéciales françaises et mondiales, devant les SBS et les Navy SEALs.
Un chapitre qui s’ajoute encore à l’expertise d’un artiste-photographe à suivre.
Carènes Acte II, Ewan Lebourdais, texte Christophe Agnus, Éditions Odyssée, 176 pages, 39 €, 2022.